La vérité sur l’Affaire Harry Quebert, de Joël Dicker

Prix Goncourt des Lycéens 2012 – ce qui n’incite pas à croire en la jeunesse – et Grand Prix du roman de l’Académie française – ce qui pousse à désespérer de la vieillesse – La vérité sur l’Affaire Harry Québert ne s’encombre pas d’un vulgaire résumé en quatrième de couverture, mais du portrait de l’auteur et surtout de deux critiques dithyrambiques de Bernard Pivot et Marc Fumaroli dont on aimerait pouvoir dire qu’on les a connus plus inspirés. Seul Fumaroli, bien involontairement, énonce une vérité à propos du roman de Dicker : « On n’en sortira qu’épuisé ». « Et ravi » ajoute cependant le préfacier post-sénile des œuvres complètes de Jean d’Ormesson à la Pléiade. On s’abstiendra pour notre part de suivre cet avis.
Faute de résumé de l’éditeur, voici donc de quoi parle le roman de Joël Dicker. Marcus Goldman est un jeune écrivain à succès. Auteur d’un best-seller qui a fait de lui une star de la littérature américaine, il est cependant victime de « la maladie des écrivains ». Comme l’action ne se passe pas au XIXème siècle mais de nos jours, il ne s’agit pas de la syphilis mais d’une bête panne d’inspiration. Il se tourne donc vers son maître et ami, Harry Quebert, légendaire écrivain, auteur du plus grand roman américain de l’histoire, Les Origines du Mal, pour lui demander conseil. Pas de chance, à ce moment-là, on découvre dans le jardin d’Harry Quebert les ossements d’une adolescente disparue en 1975 et tout porte à croire que le meurtrier n’est autre que Quebert. Persuadé de l’innocence de son mentor, Marcus Goldman décide d’enquêter et – assez vite – d’en profiter pour tirer un livre de cette affaire. Pour cela, il va sonder les habitants de la petite ville balnéaire d’Aurora, New Hampshire, et peu à peu faire la lumière sur les tragiques événements de l’été 1975.
Ambitieux, Joël Dicker entend avec La vérité sur l’Affaire Harry Quebert, proposer une sorte de roman total. Les différentes époques s’entremêlent, le point de vue change régulièrement – le récit de Marcus, les témoignages des habitants, les événements de 1975 vus au prisme de ce que Marcus suppose ; tout cela crée une constante incertitude sur la véracité des faits présentés – et l’ensemble est ponctué d’aphorismes d’Harry Quebert à destination de son disciple et d’extraits du fameux Les Origines du Mal. Voilà pour l’ambition : écrire un roman protéiforme, original, addictif.
Et puis il y a la réalité. Des personnages qui, lorsqu’ils ne sont pas franchement antipathiques, à l’image du héros et de son éditeur, apparaissent comme des semi-demeurés, des extraits des Origines du mal qui peinent à se hisser au niveau de n’importe quel roman de la collection Harlequin, et des citations de Quebert qui feraient passer Paulo Coelho pour un docteur en herméneutique. Tout cela, et même la série de twists finaux dignes des meilleurs épisodes de Scoubidou qui commence 200 pages avant la fin (!) ne serait toutefois rien sans l’écriture très personnelle de Joël Dicker. Chez lui, « les passants bruissaient » au passage de Marcus Goldman, des éléments sont « cumulés ensemble », et Goldman, encore, peut énoncer, révolté : « […] vous m’aviez utilisé de toutes pièces ». On passera sur les pathétiques tentatives de l’auteur pour ponctuer son récit de quelques dialogues humoristiques et on évitera, par charité, de parler de la manière dont il retranscrit les défauts d’élocution d’un personnage : on n’avait pas vécu ça depuis l’époque où Michel Leeb passait encore à la télévision.
Interminable (850 pages de constantes répétitions censées installer une forme de suspense), prétentieux et ridicule, La vérité sur l’Affaire Harry Quebert relève de la maltraitance d’un lecteur qui, lui-même, on doit bien l’admettre, lorsqu’il choisit de lire ce genre de roman de bout en bout, n’est certainement pas dénué de penchants masochistes.
Joël Dicker, La vérité sur l’Affaire Harry Quebert, Éditions de Fallois/L’Âge d’Homme, 2012. Rééd. Éditions de Fallois/Poche, 2014, 859 p.