La danse de l’ours, de James Crumley

Publié le par Yan

On ne dira jamais assez le plaisir que l’on peut avoir à se plonger dans les récits désenchantés des romans de James Crumley, ses héros suicidaires, rongés par la mélancolie et l’alcool, trop bons et trop conscients de leurs propres failles pour accepter tel qu’il est le monde corrompu dans lequel ils sont forcés de vivre.

C’est le cas encore ici de Milo Milodragovitch que l’on retrouve quelques années après la tragique enquête de Fausse Piste, une nouvelle fois embringué dans une histoire qui le dépasse. À 47 ans, il attend patiemment l’héritage que sa mère avait pris soin de bloquer jusqu’à ses 52 ans et occupe une place de vigile dans l’entreprise d’un colonel philanthrope en retraite en espérant un jour pouvoir voguer vers des cieux plus cléments et plus chaud que sa ville de Meriwether, Montana. C’est là que vient le chercher la richissime Sarah, vieille veuve et ancienne maîtresse de son père, pour lui confier une petite enquête de routine. Dans son ennui et depuis sa grande maison surplombant la ville, la dame a repéré le manège régulier d’un couple qui se retrouve en contrebas de chez elle. Elle aimerait juste savoir, dit-elle, qui sont cet homme et cette femme. Bien entendu, rien ne sera simple et Milo met les pieds dans un véritable panier de crabes.

En équilibre précaire sur la ligne de crête qui sépare le bien du mal et le nez bourré de cocaïne dans l’espoir de filer droit et sans doute aussi de ne pas trop réfléchir, Milo Milodragovitch se révèle tel qu’en lui-même : un bien mauvais détective, un homme naïf porté par les élans du cœur et facilement manipulable, mais surtout un archaïsme dans un monde qui avance à marche forcée sans l’attendre, qui défigure les lieux où il a grandi et qui, sous le vernis qu’offre aux regards l’insolente réussite économique des années Reagan (à tout le moins pour ceux qui étaient déjà riches) n’en finit pas de pourrir.

Comme toujours, Crumley campe autour de son héros une impressionnante galeries de personnages tour à tour bourreaux ou victimes, femmes fatales, vieillards revêches, dealeuses obèses, hommes d’affaires cyniques, hommes broyés… Et sous la belle mélancolie sourd l’humour comme une ultime défense, un humour désabusé, certes, mais qui vient adoucir l’ensemble et qui sert à rendre ce monde un peu vivable. C’est Crumley et c’est encore et toujours d’une saisissante beauté.

James Crumley, La danse de l’ours (Dancing bear, 1983), Gallmeister, 2018. Traduit par Jacques Mailhos et illustré par Aude Samama. 308 p.

Du même auteur sur ce blog : Fausse piste ; Le dernier baiser ;

Publié dans Noir américain

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