Là où les lumières se perdent, de David Joy

Le roman noir « rural » est décidément à la mode et la production devient pléthorique avec, on s’en doute, à boire et à manger. Beaucoup de maisons d’éditions surfent sur la vague et l’on commence à voir apparaître un certain nombre de pâles copies de Ron Rash ou de Daniel Woodrell. Mais, au milieu de tout cela apparaissent encore parfois quelques pépites. C’est le cas avec Là où les lumières se perdent, de David Joy.
Rural noir ? La question peut d’ailleurs se poser. Car si l’on est dans les Appalaches, du côté de la Caroline du Nord, tout cela pourrait se passer un peu n’importe où, y compris, pourquoi pas, dans un quartier d’une métropole, et, en fin de compte, l’environnement naturel compte peu face au combat intérieur de Jacob McNeely, « héros » du livre, jeune homme de dix-huit ans vivant sous la coupe d’un père régnant en maître sur le trafic de drogue local. Jacob semble destiné à décevoir son géniteur : trop tendre, pas assez impliqué dans un trafic de drogue dont il ne peut que voir les effets sur sa mère accro à la meth, et amoureux de la belle et intelligente Maggie dont il espère qu’elle réussira à mettre les voiles de ce patelin pour réussir sa vie ailleurs.
Une exécution commandée par son père qui tourne au vinaigre, une bagarre dans une fête de lycéens où Jacob manque tuer un autre adolescent et le jeune homme, qui se sent déjà étouffé par son père et par la petite ville dans laquelle il vit, voit les rares portes de sortie se refermer devant lui.
C’est finalement une histoire vieille comme le monde que conte David Joy. Pour pouvoir vivre sa vie, pour gagner sa liberté, Jacob doit tuer le père. Et la façon dont l’étau se resserre sur lui ne lui laisse pas le choix. Il va falloir le faire vite et aucun retour ne sera possible. De toute manière, les tourments qui agitent Jacob, son besoin d’aider Maggie à partir – comme une fuite par procuration – rendent son départ impérieux, fusse les pieds devant.
Si les personnages qui s’agitent autour de Jacob, son père, la petite amie de ce dernier, ses hommes de main ou les policiers à sa solde peuvent apparaître monolithiques voire caricaturaux, David Joy, par le biais de petits détails – la description d’une caravane, d’une fille endormie, quelques larmes – réussit à les rendre plus complexes qu’ils paraissent et, surtout, le personnage de Jacob, narrateur de l’histoire, est, lui, rendu dans toute son humanité, avec ses contradictions, ses lâchetés, son indécision et, finalement, sa détermination. Tout n’est sans doute pas parfait dans Là où les lumières se perdent, il y a des hauts, quelques bas, mais surtout de beaux moments de grâce. Et l’on se dit que si David Joy continue sur cette voie-là, ce sera un auteur à suivre très attentivement dans les prochaines années. En attendant on peut déjà lire ce premier roman, âpre, tragique et violent.
David Joy, Là où les lumières se perdent (Where All Light Tends to Go, 2015), Sonatine, 2016. Traduit par Fabrice Pointeau. 297 p.
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