Frank Sinatra dans un mixeur, de Matthew McBride
« Norman Russo avait bien choisi sa journée pour se tuer. Il faisait un temps de merde et il n’y avait rien à la télé. » Surtout, comme le constate bien Nick Valentine, on a un peu aidé Norman Russo à se suicider. Et cela a sans doute à voir avec les deux débiles qui ont attaqué une banque avec une camionnette de boulanger avant de se faire dessouder et que le butin disparaisse. Naviguant entre deux eaux, entre la police et les gangsters qui ont tous besoins de ses services, Valentine, ex-flic et détective privé alcoolique au dernier degré, se lance lui aussi à la recherche de l’argent volé en espérant bien pouvoir en profiter pour renflouer ses comptes et payer des tonnes de croquettes à Frank Sinatra, son de yorkshire terrier.
De ce postulat désormais classique des différents groupes recherchant la même chose et se doublant les uns les autres avec, au milieu, l’homme qui entend tirer son épingle du jeu, Matthew McBride tire un polar ultraviolent et hilarant mené à un train d’enfer. Junkies imbéciles (« L’essentiel de la dope était encore sur l’écritoire. Il sniffa ce qui restait mais résista à l’envie de lécher. Ne pas laisser de trace d’ADN. Telly était malin. Il regardait Discovery Channel. »), Anglais détraqué, pseudo-mafieux obèse, policier amish défroqué, détective retors gobant des cachets d’Oxycontin au rythme où il s’enquille des bouteilles de Corona… rien que cette galerie de portraits – parmi lesquels le seul à susciter un tantinet la sympathie se déplace à quatre pattes et essaie de copuler avec un ballon de football américain – vaut le détour.
Cette intrigue tient bien entendu grâce au rythme complètement échevelé que lui donne Matthew McBride mais aussi aux trouvailles désopilantes de l’auteur, tant dans l’expression que dans les gimmicks et diverses situations improbables dans lesquelles il jette ses personnages. Un Valentine obsédé par l’alcool au point de siffler en douce un reste de bouteille de vin sur une scène de crime et ne se déplaçant jamais sans une glacière de bière, une tronçonneuse et un fusil de chasse, des scènes de tortures atroces durant lesquelles on ne peut s’empêcher de se bidonner quand, par exemple, le torturé se retrouve à avaler par accident l’orteil que l’on vient de lui arracher… tout cela s’enchaîne sans temps mort.
C’est fou, dénué de morale et de bon goût. Autant dire que c’est indispensable.
« Une brunette qui sentait le cacao passa et me pressa l’entrejambe en toute simplicité, comme si nous étions au supermarché et que ma bite était un avocat. »
Matthew McBride, Frank Sinatra dans un mixeur (Frank Sinatra in a Blender, 2013), Gallmeister, coll. NéoNoir, 2015. Traduit par Laurent Bury. 246 p.