Vendetta, de R.J. Ellory
Voici une chronique qui aura mis bien longtemps à murir. Je m’explique.
Pendant des années, j’ai entendu (et lu) vanter dans la presse ou de la part d’amis avec lesquels je partage pas mal de goûts pour ce qui est du polar le livre de R.J. Ellory, Seul le silence. J’ai assisté à une conférence à laquelle participait, entouré de Carlos Salem et de Jean-Bernard Pouy, ledit R.J. Ellory qui nous a raconté sa vision de l’écriture, la genèse de Seul le silence, etc. Au sommet du phénomène « Seul le silence », il était tout simplement impossible de dire le mot polar sans entendre prononcer le titre de ce roman – et aussi celui de Millenium, pour être tout à fait juste. Alors, bien entendu, ma curiosité était pour le moins éveillée. Mais j’avais encore (et j’ai toujours, en fait) pas loin de 250 romans dans ma pile de livres à lire, et le temps a passé.
Puis, un beau jour, Seul le silence est sorti en poche et je l’ai vu chez mon libraire. Juste à côté se trouvait un autre roman, en grand format, du même auteur : Vendetta. J’achetai Seul le silence et en profitai pour jeter un coup d’œil à la quatrième de couverture de Vendetta. Le résumé donné me paraissait des plus alléchants. Je finis donc par repartir avec les deux bouquins sous le bras. Et même sous le coude, puisque c’est là qu’ils sont restés un bon moment avant que je trouve le temps et éprouve l’envie de les lire. Et, décidemment, le résumé de Vendetta m’attirait bien plus que celui de Seul le silence. C’est donc par lui que je décidai de commencer.
Tout cela pour dire d’entrée que ma déception à la lecture de ce roman fut à la hauteur des plaisirs que j’avais anticipés. Et que, donc, j’ai mis un certain temps (plusieurs mois) avant de m’atteler à la chronique de ce roman, histoire que le soufflet retombe. Et je m’aperçois que j’ai quand même conçu une certaine amertume de cette lecture, un vague sentiment d’imposture.
Vous ne pourrez pas dire que vous n’étiez pas prévenus si vous lisez la suite de cette chronique.
Ernesto Perez, homme de main de la Mafia, vient de se livrer au FBI après l’enlèvement de la fille du gouverneur de Louisiane. Il se dit prêt à révéler où se trouve la jeune fille à la seule condition qu’on lui permette de s’entretenir avec Ray Hartmann, fonctionnaire qui travaille pour une commission de lutte contre le crime organisé. Alors qu’une course contre la montre s’engage pour retrouver la kidnappée, la confrontation entre Perez et Hartmann tourne à la longue confession du criminel qui raconte 50 ans de crime organisé entre Cuba et les États-Unis et les dessous de l’histoire de l’Amérique au long de ce demi-siècle.
Le sujet avait tout pour plaire : l’annonce d’un suspense insoutenable allié à une fresque historique ambitieuse, le tout censé être porté par une écriture dont avait vanté la qualité d’évocation à la sortie de Sous le silence ; tout cela laissait augurer du meilleur.
Très vite, toutefois, mon enthousiasme s’est trouvé douché. D’abord parce que l’écriture, justement, m’a paru extrêmement fade, déroulant son histoire, et même le suspense haletant qui semblait garanti, à un rythme tout à fait lymphatique. Le tout dans une Nouvelle-Orléans et une Louisiane de carton-pâte qui ne semblent avoir été choisies comme lieu principal de l’intrigue que pour pouvoir placer quelque créole mystérieux sans doute adepte de vaudou.
La confrontation entre le tueur de la mafia et l’agent Hartmann ne vaut finalement pas beaucoup mieux. Le dialogue tendu que l’on pouvait attendre tourne vite au long monologue du tueur qui nous raconte une histoire secrète de l’Amérique contemporaine que l’on a malheureusement lu ou vu (d’Ellroy à Oliver Stone en passant par James Grady) des dizaines de fois.
Là encore, c’est par le biais de l’écriture que l’on sent bien que quelque chose cloche. Tout est bien trop propre (on a du mal à imaginer ce truand débiter une telle confession avec cette langue si chiadée, si… littéraire) et joue finalement trop sur une apparence de vérité (sans doute appuyée par des recherches poussées de l’auteur) qui dissimule un grand vide pour ce qui est du sens de l’intrigue.
Le kidnapping n’apparaît en fait que comme un prétexte à la rencontre de Perez et Hartmann, et l’on s’en désintéresse bien vite, tout comme l’auteur semble-t-il. Quant à la rencontre en question, on ne sait si elle est là pour nous parler de Perez et Hartmann ou de cette histoire clandestine du deuxième vingtième siècle américain. Et, en fin de compte, tout cela se rentre dedans, s’accumule, et comble, 650 pages durant, l’absence de fond de ce roman qui s’achève sur un twist final que l’on a vu arriver depuis un moment, porté par une immense machinerie de grosses ficelles.
Ellory semble avoir été, dans l’écriture de ce roman, dépassé par son objectif ambitieux. À trop vouloir en faire, il n’a finalement pas fait grand-chose et le lecteur qui attendait une immersion dans le suspense et l’Histoire, se retrouve perdu au milieu d’un décor de carton pâte, très joli sans doute de prime abord, mais dont on a vite fait le tour pour s’apercevoir qu’il n’y avait rien derrière.
En fin de compte, on se dira que si l’on veut une véritable histoire détournée de l’Amérique, mieux vaut lire Ellroy et son American Tabloïd, et que si l’on désire lire une véritable confrontation pleine de tension entre un tueur (présumé) et un flic, on trouvera cela d’une manière diaboliquement efficace dans Interrogatoire, de Thomas H. Cook. Deux livres valent parfois mieux qu’un.
R.J. Ellory, Vendetta (A Quiet Vendetta, 2005), Sonatine, 2009. Rééd. Le Livre de Poche, 2010. Traduit par Fabrice Pointeau.