Une semaine en enfer, de Matthew F. Jones
Les romans qui se déroulent dans le Vieux Sud ou dans les États limitrophes, avec ce qu’il faut de tueurs dégénérés, de paysans crevant de faim et vivant d’expédients et de Marie-couche-toi-là ont le vent en poupe depuis quelques années. Il y a bien entendu eu les précurseurs, à commencer par Harry Crews ou Larry Brown, puis sont arrivés Chris Offut ou Daniel Woodrell et enfin une génération plus récente à laquelle on a parfois accolé les termes génériques de « littérature white trash » ou, pire, de « gothique sudiste » dans laquelle le meilleur (William Gay, Frank Bill…) côtoie le… hum… beaucoup moins bon (Kirby Gann, par exemple). Sans sombrer complètement, c’est toutefois vers cette deuxième catégorie que tend à pencher Une semaine en enfer, de Matthew F. Jones.
C’est que cette histoire de paysan déclassé, dont la femme est partie avec l’enfant, et qui tue accidentellement, alors qu’il braconne le cerf, une jeune fille avant de trouver un magot en tentant de dissimuler le corps, commence par une lacune scénaristique de poids. En effet, John Moon, le braconnier tueur malgré, lui se trouve rapidement pourchassé par les propriétaires tout à fait illégitimes du magot sur lequel il a mis la main ; d’où cette semaine infernale du titre qu’il va passer. Le problème, c’est que le roman s’ouvre sur cet accident de chasse, la dissimulation du cadavre, puis la découverte de l’argent en insistant sur l’absence de témoins et le soin avec lequel John Moon efface toutes ses traces. Dès lors, la manière dont Moon se retrouve traqué pose un évident problème de cohérence. On apprendra juste que l’un des malfrats a croisé Moon dans son enfance et se souvient qu’il chassait. C’est tout de même bien mince. Et l’intrigue étant fondée sur cette traque, le lecteur ne peut que se trouver mal à l’aise face à l’incapacité de l’auteur de proposer une raison sinon logique à tout le moins un petit peu crédible.
Abstraction faite (difficilement) de ce mauvais départ qui se répercute pour le lecteur pointilleux (ou trop bête pour avoir tout compris, on ne peut pas non plus exclure cette possibilité) sur l’ensemble du roman, on conviendra du fait que Matthew Jones réussit à instaurer une ambiance propice au suspense grâce notamment à une bonne exploitation des descriptions de la nature sauvage – et dangereuse – et des relations sociales de cette petite communauté rurale du sud oscillant entre solidarité un peu forcée, drames éludés et rancunes tenaces.
Malheureusement, cela est souvent parasité par des moments de transe de John Moon qui flirtent souvent avec l’incompréhensible et des dialogues pas toujours au niveau et dont on soupçonne l’humour que l’on y décèle parfois de ne pas être complètement volontaire :
« -C’était un accident.
Waylon sourit. « Quoi ? Me voler mon fric ou la buter ?
-Je l’ai prise pour un cerf.
-Un cerf ? Elle ne ressemblait pas du tout à un cerf !
-C’était une erreur. »
Le problème de Matthew F. Jones dans ce roman est peut-être simplement que s’il est un bon faiseur qui sait insuffler du rythme à son histoire, son imagination reste limitée et bien trop influencée par d’autres romans du même genre. Clairement, il n’arrive pas à nous surprendre vraiment et semble convoquer tous les poncifs du genre en espérant que cela donnera une histoire qui tiendra un tant soit peu. On a donc droit aux méchants très méchants, à l’ami au passé trouble, au voisin sympathique et plein de bon sens que le héros ne veut pas écouter, à la femme qui part pour trouver une vie meilleure, à l’avocat de province pas très compétent et au héros torturé et alcoolique dépassé par les événements mais qui a tout de même un bon fond. Et même au chien fidèle. Pour lier le tout, il manque donc toutefois une intrigue qui se tienne vraiment et une description psychologique des personnages qui soit bien plus fine.
Bref, si Une semaine en enfer est le genre de roman qui se laisse lire le temps d’un trajet en train ou d’une après-midi pluvieuse, il sera certainement vite oublié. Ce n’est pas grave.
Matthew F. Jones, Une semaine en enfer (A Single Shot, 1996), Denoël, 2013. Rééd. Folio Policier, 2014. Traduit par Pascale Haas.