Une interview de Régis Descott par Christophe Dupuis

Publié le par Yan

lannee-du-rat.jpgUne fois encore, Christophe Dupuis nous fait cadeau d'une de ces interviews dont il a le secret et qui faisaient la richesse du site Entre-deux-Noirs. C'était au moment de la sortie de  L'année du rat et il interrogeait Régis Descott à propos de son roman. Éclairant.

 

 

On commence par une mauvaise blague : niveau communication votre livre sort un peu après le nouvel an chinois, c’est parfait, mais cette année, c’est l’année du lapin !

 

Ah les joies du marketing ! On aurait en effet pu appeler ce livre L’année du lapin et illustrer la couverture avec le logo de Playboy, mais ça aurait plutôt évoqué une biographie de Hugh Heffner, et puis ça aurait fait moins dramatique, non ?

 

Et une deuxième : durant les 30 premières pages, on ne sait pas si ce sera un roman d’amour ou un polar, c’est un hasard ?

 

Là vous forcez un peu le trait. Il me semblait pourtant que les premières pages donnent le ton, avec cette prophétie macabre et l’atmosphère virile qui se dégage de la brigade de recherche et traque. Et puis l’amour et le polar ne sont pas incompatibles, je pense notamment à l’excellent Sylvia, de Howard Fast, paru chez Rivages Noir il y a quelques années. Un exemple parmi des milliers. Mais c’est vrai que dès les premières pages, j’ai voulu montrer la faille du traqueur, sa fragilité, un moyen de rendre le personnage plus humain.

 

Deux romans contemporains traitant de la folie, un roman historique sur le même sujet, aujourd’hui un thriller légèrement futuriste… vous n’aimez pas la routine ou c’est l’envie de surprendre le lecteur ?

 

Avec Obscura je voulais remonter aux sources de la psychiatrie traitée dans mes deux précédents romans. De cette manière j’ai mis un terme à un cycle entamé quelques années plus tôt sur la folie, la psychopathie et les tueurs en série. Je considérais en avoir fait le tour et je voulais passer à autre chose, quitter cet univers plombé. Et puis j’ai fait ce rêve que j’évoque dans la note de conclusion du livre, et qui m’a orienté vers la manipulation génétique. L’occasion rêvée (c’est le cas de le dire !) de prendre un nouveau virage. Mais je ne parlerais pas d’envie de surprendre le lecteur, car il y avait un risque à passer d’un roman sur la peinture de Manet à un autre sur la génétique. A une semaine de la sortie de L’année du rat, je ne sais toujours pas si les lecteurs d’Obscura vont suivre. L’écriture ne doit pas être dictée par ce genre de considérations mais répondre à une nécessité.

 

Dans cette note justement, on voit que, quel que soit le sujet de vos livres, il y a toujours cette part de documentation…

 

C’est-à-dire que j’ai toujours besoin de m’imprégner d’un univers, histoire d’ancrer mon travail dans une certaine réalité. Cette phase de documentation fait partie de la conception du roman, et puis elle s’avère souvent génératrice d’idées. Comme L’année du rat se passe dans le futur, dans un monde nouveau, la documentation a été beaucoup moins importante que pour Obscura évidemment, qui se passe en 1885, voire Pavillon 38 qui avait nécessité une enquête dans l’univers de la psychiatrie de l’extrême. Mais dû me documenter sur le nucléaire, sur la génétique, et sur le rat bien sûr, qui est un animal tellement proche de l’homme… Tellement proche que c’en est fascinant. Et dire qu’enfant je les tirais à la carabine en Camargue… Si j’avais su… On peut dire que j’ai fait du chemin depuis.

 

Avant d’entrer dans le vif du sujet, ce qui frappe, c’est la couverture… et elle n’est pas anodine, vous nous en dites plus…

 

Pendant des jours on a cherché des photos dans les banques d’images, sans rien trouver d’intéressant. Alors que j’avais celle-ci à portée de main : la carte postale d’une sculpture que j’avais découvert dans le cadre de l’exposition sur les vanités au musée Maillol : un crâne humain auquel l’artiste a greffé des oreilles de Mickey. Alors on a contacté Nicolas Rubinstein – le sculpteur – que le projet a séduit. Il se trouve que le sujet le touchait puisque ayant travaillé sur la part de rat de Mickey, il avait lui-même étudié de près les caractéristiques du rongeur. En plus d’une couverture très spectaculaire, j’ai gagné dans cette affaire un ami. Pas mal, non ?

 

Dans ce livre, comme le remarque très bien Chim’, vous mettez en scène “l’archétype du flic désabusé“… une première pour vous, non ?

 

Dans Pavillon 38 et Caïn & Adèle apparaissait le commandant Steiner de la Brigade criminelle, qui dans son genre était désabusé. Mais il s’agissait d’un personnage secondaire par rapport à la psychiatre. D’une manière générale, il me semble que la fonction crée cet état d’esprit, car comment rester indifférent au spectacle de tous ces crimes qui s’ajoutent les uns aux autres, année après année ? Ce prisme particulier sur la nature humaine ne peut pas toujours prédisposer à la légèreté.

 

Après la remontée dans le temps (Obscura), vous explorez l’avenir… Comment avez-vous construit votre Paris (Pompidou en sanatorium, la tour Péchenard…) ?

 

C’est un des éléments du travail qui m’a le plus amusé. Certes l’intrigue est située dans l’avenir, mais dans un avenir proche. L’idée était d’utiliser Paris sans le dénaturer, sans transformer la ville de fond en comble, mais en y imprimant quelques évolutions emblématiques. Changer la destination de certains lieux m’a paru une idée intéressante. D’où la transformation du Centre Pompidou en sanatorium par exemple, me permettant de faire évoluer la ville en fonction des besoins, des circonstances, sans dénaturer sa physionomie. J’ai toujours beaucoup aimé cet endroit où je me rends régulièrement, je n’allais pas le faire disparaître. Même chose pour le Père-Lachaise que je n’ai pas bouleversé sur un plan topographique, mais qui de cimetière est devenu marché aux fleurs et aux oiseaux. Un moyen d’instiller un peu de fantaisie dans une scène assez violente, tout en conservant des repères très contemporains.

 

Et comment est née la scène sous l’usine de La Hague ?

 

Même démarche. A l’étape de la conception du roman j’avais imaginé un monde, le nôtre après un Troisième Conflit mondial, avec toutes les évolutions que cela sous-entend, restait à conserver à l’ensemble sa cohérence. Cette déflagration mondiale a été l’occasion d’accidents type Tchernobyl. Restait à trouver un usage à ces lieux durablement dévastés…

 

Alors, se sent-on plus à l’aise avec le futur que dans le cadre d’une reconstitution historique ?

 

Avec Obscura j’ai tenté une immersion dans ce Paris de la fin du XIXe siècle que j’avais découvert par la littérature, grâce à mes premières lectures. C’était aussi une façon de clôturer un cycle, celui des tueurs en série. Or, avec L’année du rat j’ai le sentiment d’entamer un nouveau cycle, d’avoir pris une nouvelle direction, il y a donc plus de fraîcheur, plus d’enthousiasme et de liberté aussi. Et puis essayer d’imaginer ce que pourrait être notre avenir est une expérience passionnante. Jamais je ne me suis autant amusé en écrivant.

 

Au risque de me répéter d’interview en interview mais il semble que les auteurs de polar ont une vision pessimiste de l’avenir (écologie, manipulations génétiques, vidéosurveillance, pantouflage …) triste constat, non ?

 

Le spectacle auquel on assiste tous les jours dans le monde ne nous laisse pas entrevoir un avenir forcément radieux, ne serait-ce que sur un plan écologique, ou démographique, les deux étant liés d’ailleurs. Mais je ne serais pas aussi négatif, pour la simple raison que décrire un avenir c’est déjà y croire. J’aime bien la plaisanterie selon laquelle si tu vois une lumière au bout du tunnel ce sont les phares du train qui fonce vers toi. Mais je crois en la capacité d’adaptation de l’homme. Comme en celle du rat !

 

Vous, dans ces années 20XX, vous voyez la religion annihilée au profit des relations économiques et “pour un hédonisme terre-à-terre et le désir de vivre le plus longtemps possible“… étonnant, non ?

 

C’est parce que je pars de l’idée que ce Troisième Conflit a été déclenché pour des questions de religion, questions dont le monde, une fois sorti de cette commotion, ne veut plus entendre parler. En outre, ce désintérêt pour l’Au-delà peut aussi être accentué par l’allongement de la durée de la vie qui éloigne d’autant plus l’échéance finale. Mais je ne prétends pas détenir les clefs de l’avenir.

 

C’est d’ailleurs – entre autres – au vivre le plus longtemps possible que vous vous attaquez… ça vous angoisse ou pas ? (moi je suis du côté d’une phrase lue dans le roman “un esprit vieux dans un corps jeune“, l’angoisse !)

 

J’ai trouvé intéressant d’aborder la question sous cet angle, parce qu’on parle toujours de l’élan de la jeunesse et de l’expérience de la vieillesse. Or qui dit que l’expérience est compatible avec ce fameux élan, qui n’est sans doute pas dissociable d’une certaine forme d’innocence ? Alors j’ai ce personnage de sportif de haut niveau dont les capacités physiques sont préservées par un traitement particulier, mais qui a perdu la gagne qui l’animait autrefois. De ce point de vue l’existence semble assez bien faite.

 

Face à ces expérimentations, on voit des terroristes du mouvement pro-life qui tuent certains généticiens… pensez-vous que ces solutions extrêmes puissent être les seuls remparts contre ces apprentis sorciers ?

 

Loin de moi l’idée de défendre de telles extrémités. Mais je ne suis pas sûr que des lois puissent suffire à stopper ce type d’expérimentation. Imaginez ce qui peut traverser l’esprit d’un généticien sans étique dont la boîte à outils lui permet tout ce qui est imaginable. On se trouve un peu là face au mythe de la pomme qui dans le jardin d’Eden symbolisait la connaissance : l’interdiction divine n’a pas arrêté Adam et Eve, avec toutes les conséquences que l’on connaît…

 

Je vous laisse commenter une des phrases que vous avez écrites : “Evoquer une anomalie génétique revenait à évoquer le pire des crimes contre l’humanité, la dernière barrière à franchir avant le chaos“…

 

L’idée de créer des êtres hybrides entre l’homme et l’animal est assez vertigineuse et serait de nature à remettre en question l’idée d’humanité. C’est un des problèmes auxquels l’homme devrait bientôt être confronté. Quand H.G. Wells a publié L’île du docteur Moreau, en 1896, les expérimentations qu’il décrivait relevaient de la science-fiction. Mais aujourd’hui nous y sommes. C’est une question d’années. Sommes-nous prêts ?

 

Si je dis “la fin fait assez Luke Skywalker“, trouvez-vous que je dévoile trop la fin… si non, aviez-vous ça en tête ?

 

Non… Il ne me semble pas… A aucun moment je n’ai songé à La guerre des étoiles en écrivant ce livre, mais c’est une magnifique référence. Quel univers ! Je suis très admiratif de ce genre de création, et je peux chercher mon inspiration n’importe où. Mais en l’occurrence pas chez George Lucas. Si on devait prolonger la comparaison, je n’en serais qu’au début et il me resterait cinq romans pour achever le cycle ! Nous n’en sommes pas là.

 

Une fois tout ceci fini, on se demande, après un repos bien mérité, ce qui va être votre prochain roman, vous nous aviez parlé de votre voyage en Inde, pouvez nous en dire plus ?

 

Au cours de mes travaux de documentation sur le rat, j’ai été frappé par la différence de perception du rat entre l’Occident et l’Orient. En Inde notamment, dans le nord du Rajasthan, se trouve le temple des rats sacrés. Je suis donc parti deux mois en Inde, dans le cadre d’une mission Stendhal, avec l’idée d’écrire le second volet d’un diptyque. Le voyage a été une expérience fabuleuse et il en sortira certainement un roman. La suite de L’année du rat ? Sans doute. Ce qui est certain, c’est que je vais poursuivre dans cette veine.

 

A regarder votre bibliographie, on voit un livre tous les 2 ans, une belle régularité, c’est votre rythme ? Comment travaillez-vous ?

 

Parfois j’aimerais écrire plus, publier de façon plus rapprochée, deux ans me paraissent longs. Mais vous parlez de belle régularité et vous avez sans doute raison. Pourvu que ça dure ! Il me faut entre quatre et six mois pour écrire un tel roman, mais je passe autant de temps derrière pour améliorer le texte ; c’est l’étape au cours de laquelle le roman acquiert sa forme véritable, mais très laborieuse où il s’agit de revenir inlassablement sur ce qui a été fait. Et en amont, avant de commencer l’écriture, j’ai toujours besoin de plusieurs mois de maturation pour valider une idée, puis me documenter et concevoir un plan. Le rêve à l’origine de L’année du rat, je l’ai fait alors que j’avais à peine commencé l’écriture d’Obscura.

 

Le prochain est donc pour 2013 ?

 

J’aimerais vous dire 2012. Mais je suppose que vous avez raison. En plus, 2013 ça sonne bien !

 

Des choses à rajouter ?

 

Rien du tout. Si ce n’est que c’est un bonheur d’être lu avec autant d’attention !

 

Merci bien

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