Une interview de Michel Embareck par Christophe Dupuis autour de La mort fait mal
Une fois de plus, Christophe Dupuis, dealer en interviews, nous fait l'amitié de sortir de ses tiroirs un entretien. Ici donc, avec Michel Embareck à propos de La mort fait mal. Une autre entrevue avec l'auteur, autour cette fois du Rosaire de la douleur, accompagnera une prochaine chronique.
Michel Embareck, tu as navigué dans le rock un bon bout de temps, aujourd'hui c'est le milieu financier, judiciaire… tu peux nous en dire un peu plus?
En fait, j'ai toujours été passionné par les faits divers. Tout môme, je me jetais le matin sur le Progrès de Lyon pour lire les faits divers, ceux relatifs au gang des Lyonnais mais aussi, les exploits d'un paquet de braqueurs qui défrayaient la chronique. C'était une vision très romantique avec un faible pour un fondu complet dont je ne peux pas donner le nom parce qu'il est aujourd'hui Témoin de Jehova et poursuit tous ceux qui parlent de son passé. Ce type, un braqueur solitaire, avait un tigre en cage chez lui pour le jour où les flics viendraient le coffrer et une mitrailleuse 12.7 jumelée en batterie sur le pallier. A l'époque Lyon était vraiment une bonne capitale du crime avec commissaires proxo et des gangs complètement liés au monde politique. J'ai eu aussi la chance de rencontrer le journaliste qui couvrait alors les faits-divers, Pierre Merindol, un vrai pro aussi à l'aise avec les flics qu'avec les voyous. Il connaissait tout le monde et me racontait ce qu'il ne pouvait pas écrire. Depuis j'ai toujours suivi les faits divers, les procès avant de plonger dedans il y a une douzaine d'années. Là, j'ai découvert que le crime financier était dix fois plus passionnant que le crime de sang. Comme j'ai fait pas mal de droit et de droit commercial, ça n'a pas été trop difficile. Aujourd'hui, la vraie dépossession de la vie provient du crime économique qui chaque jour pompe entre 5 et 10 % de la richesse produite par ceux qui se crèvent le cul. Et ça va être de pire en pire. Les patrons viennent par exemple d'obtenir le remboursement de la TVA sur leurs frais de représentation avec effet rétroactif sur 4 ans. L'information a tout juste fait une brève dans les journaux et pourtant c'est le premier pas vers la légalisation des abus de biens sociaux et des prises illégales d'intérêt. "Frais de représentation", ça veut dire quoi ? Quand on parle de ce crime financier, on a toujours l'impression que l'argent est virtuel mais c'est toujours ton pognon qui est pompé soit par le prix que tu payes un objet ou un service, soit par tes impôts. Bon, j'arrête sur le sujet car je m'énerve. N'empêche que le MEDEF "demanderait à l'Etat de subventionner les chaînes si on rétablissait l'esclavage". Et sur le sujet, lisez les livres de mon pote Denis Robert. Aujourd'hui, l'argent volé sous la menace d'une arme ne représente même pas 0,25% de ce que pompe la délinquance en col blanc.
Tu nous fais trois livres "blancs" et arrives au polar avec Cloaca Maxima (Editions de l'Archipel, bravo la couverture) où tu places tout ce qui te tient à cœur (le rock, les femmes, le journalisme). Comment as-tu basculé dans le polar?
Pendant longtemps, j'ai écrit pour raconter tout autre chose que ce que je vivais quotidiennement. Mes copains me tanaient en me demandant d'écrire ce que je leur racontais sans pouvoir l'écrire dans un journal parce qu'il ne suffit pas d'avoir des infos. Il faut ensuite pouvoir les étayer. Bref, je faisais marrer mes potes en leur racontant le dessous des cartes mais lorsque je me mettais à écrire c'était surtout pour parler d'autre chose et surtout des femmes. Au départ, Cloaca Maxima est une histoire d'amour que j'ai ensuite repatouillée en noir. En fait, je n'envisageais pas le polar autrement "qu'en vrai". Et en vrai, c'est hyper long avec des mois d'attente sur un coup qui peut s'avérer foireux. Là, je viens de sortir une arnaque à un prétendu trésor. Je bosse dessus depuis un an... La mort fait mal, ça m'a pris un dimanche de pluie. Une sorte de gag... Pour la couverture de Cloaca Maxima, j'avais demandé une photo d'Elmer Bletters, le photographe fétichiste des jambes et l'éditeur m'a collé ça... Au moins, en Série Noire, il n'y a pas de surprise. Et puis, le titre original était vachement mieux. N'empêche, je pense sincèrement qu'il s'agit d'un très beau texte.
"10 ans d'Afrique, 10 ans de rock", c'est un peu toi ou tu n'as que la partie guitare héros? Le personnage, c'est un melting pot de tes souvenirs musicaux?
J'ai traîné dix ans dans le rock au magazine Best et un peu en Afrique. Oui, j'y ai collé pas mal de souvenirs musicaux surtout ceux relatifs au punk rock, une époque que j'ai vraiment vécue presque de l'intérieur, à Londres toutes les semaines. J'ai fait la connaissance des Sex Pistols un soir de noël 75 à l'Open Market ! A l'époque, c'était pas plus difficile de partir en tournée avec Clash qu'aujourd'hui avec un groupe de MJC.
Avril 2000, avec un livre à l'histoire plus fouillée, aux personnages plus denses, tu débarques à la Série Noire… la consécration pour un écrivain de polar?
La Série Noire est évidemment un rêve, mais au-delà du mythe, il y a des gens plutôt rock n' roll avec lesquels je m'entends bien. À propos de polars, il ne faut pas oublier que mon premier bouquin, Sur la ligne blanche en était un. À l'époque, il avait bien foutu le bordel en dénonçant les collusions entre les maisons de disques et les médias audiovisuels. Aujourd'hui, tout le monde s'en fout parce que c'est pire.
Victor Boudreaux, il est né comment? Tu lui prévois d'autres aventures, m'as-tu dit?
Victor Boudreaux est né d'un outil. Je lui cherchais une arme personnelle et, un jour, je retrouve cette chaîne de tronçonneuse dans mon coffre de bagnole. La chaîne, je l'avais donnée pour affutage et oubliée là. C'était l'arme qu'il lui fallait. De là s'est imposée l'idée de l'ancien lanceur de marteau, puis de sa carrure. Après, je lui ai inventé cette vie de fou, le Viet Nam, la double nationalité etc... Victor revient au printemps dans la série Noire dans une bonne arnaque qui se passe actuellement pour qui sait lire entre les lignes des pages saumon du Figaro.
Moizy-Les-Beauges, bled inventé car ton histoire était trop sulfureuse?
Moizy les Beauges est un clin d'oeil à Poisonville de La moisson rouge. En même temps, je ne pouvais placer cette histoire dans une ville réelle d'autant que si l'histoire est une fiction, la fiction s'est inspirée de quelques faits réels.
Le bistrot du carrefour des 5 roses, un véritable poème et un emplacement stratégique?
J'adore les bistrots populaires. Je peux y passer des heures à écouter, regarder. J'ai même fait de l'un d'eux le centre ou presque d'un de mes romans, Une rue à ma fenêtre.
"L'argent allait à l'argent, le pouvoir au pouvoir, les femmes aux gagnants et la patience n'empêchait pas l'ambition". C'est une de tes visions du monde?
Oui, c'est une de mes visions du monde mais les autres ne sont guère plus optimistes. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi c'est toujours pire. En fait si, je le sais très bien. Une société capitaliste ne peut qu'être toujours pire puisqu'il s'agit d'une société comptable dont les chiffres constituent la seule référence. Tout cela est calqué sur le modèle américain, une société d'accumulation, de statistiques, une société où les nombres quels qu'ils soient ( le pognon que tu gagnes ou le nombre d'avant dernière passe décisive au basket) font triquer les gens. Les Ricains moyens ne parlent qu'en chiffres, les pages sportives des journaux se résument à des colonnes de statistiques. Et on y va tout droit. Putain tu peux plus regarder un match de foot à la télé sans savoir que Machin a touché 26 fois le ballon, qu'il a driblé 12 fois, fait 3 passes en retrait, tiré 1 fois au-dessus et s'est cassé 2 dents en ouvrant un flacon d'EPO. Non, là, je déconne. Ca, personne ne le dit mais tout le monde sait que les sportifs sont cent fois plus chargés que les clients de Marmottan. Aujourd'hui, il faut interdire aux gosses de faire du sport, c'est trop malsain. Vaut mieux qu'ils aillent boire des bières en boîte le samedi soir. Au moins, le dimanche, ils restent au lit. A propos de chiffres, as-tu remarqué que les gens n'habitent plus en Gironde mais dans le "33". J'attends qu'il y ait un département 1664 ou 11.43 pour m'y installer.
La secrétaire / maîtresse parfaite, tu ne trouves pas que ça fait un peu cliché?
Pas un cliché mais une référence comme d'autres références à John Woo, Coppola ou aux Tontons flingueurs. Jeanne est un cliché mais quelle classe ! Merde, t'as vu comment elle se fringue et sa culture cinématographique en N& B ? Si t'avais une secrétaire tu choisirais Jeanne ou Jeannie Longo ?
Et toutes ces fiches techniques d'armes, la nostalgie de Manchette? En parlant de lui, quels sont tes auteurs favoris?
J'aime les flingues et je dois avouer que je suis plutôt bon tireur avec les armes d'épaule. Meilleur à la carabine qu'au fusil. J'ai grandi à la campagne et à dix ans, tous les gniards tiraient à la 22 LR (à l'époque c'était des 22 à répétition. Interdites aujourd'hui) ou avec d'autres carabines à cartouches. On trouve trop de conneries dans les polars au sujet des calibres ou des longueurs de canon. Donc, j'essaie d'être précis. Et puis, pour les connaisseurs, une arme ça classe un type comme une Gibson ou une Rickenbacker classent un guitariste ( Et je te parle pas de la Dan Armstrong en plexi transparent de Cyril Jordan !). Quand je lis qu'une gamine tire cinq balles avec un revolver Colt 45, ça me fout en boule. D'abord un .45 est un pistolet et puis, un seul coup suffirait à lui arracher le bras. Donc, il faut être précis et ne pas confier n'importe quoi à n'importe qui. Par exemple, pour les femmes, il existe un joli Colt - un calibre 38, je crois - à crosse lumineuse pour le retrouver dans le sac à main !
J'ai une passion pour James Cain et Dos Passos (bien qu'il ait très mal fini en politique). Cain, c'est une prodigieuse mise en scène du vice. Il faut lire tout Caïn et pas seulement "Le facteur". J'aime beaucoup James Lee Burke ( La Louisiane, New Orleans et toute la musique black locale), Goodis, Jean François Villard, Manchette et puis le vieux polar français, Simonin, Lebreton, Ange Bastiani pour sa maîtrise de l'argot dans "Polka dans le champ de tir". Je me fais aussi une fête de chaque Philippe Djian ou Eric Holder.
"Même légales, les affaires des élus attiraient la suspicion d'une poignée de juges d'instruction qui en profitaient pour se faire un nom et vendre des romans policiers"… alors, on a pas une haute opinion de ses collègues de La Noire?
C'est une joke ... J'ai de bons copains juges qui... n'écrivent pas ! Non, sérieusement, le bouquin d'Halphen était bien mais il faut aussi se mettre dans la peau de Boudreaux qui grosso modo préfèrerait voir les juges au stand de tir plutôt que derrière un bureau. Victor est le dernier privé psychopathe-migraineux de la profession.
Merci bien
interview réalisée par Christophe Dupuis en 2000, via le mail