Une interview de Joe Lansdale par Christophe Dupuis

Publié le par Yan

Joe_Lansdale.jpgEn 2008, lors du passage de Joe Lansdale à Quais du Polar, Christophe Dupuis interviewait l'auteur de la série mettant en scène Hap Collins et Leonard Pine. Une fois de plus il nous fait le plaisir de nous offrir cet entretien.

Lorsqu’on lit les quatrièmes de couverture des romans américains traduits en France, il est toujours stipulé que l’auteur a exercé un nombre incalculable de métiers avant de devenir écrivain… légende ou vérité ?

J’ai ramassé les poubelles, nettoyé les rues, travaillé dans une usine de fabrication de chaises en alu, videur dans des dancing…

A 30 ans, vous publiez votre premier roman (Act of Love, inédit en France). Mais à quel âge avez-vous commencé à écrire? Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire ?

En fait, pour ma vraie première publication, j’avais 21 ans. Mais entre 21 et 30 ans, date à laquelle ma première fiction est parue, j’ai écrit des documents et pas mal de nouvelles dans des revues…

Quelles ont été vos influences… Les auteurs qui vous ont marqués et qui vous marquent toujours aujourd’hui ?

Mark Twain, Flannery O’Connor, Raymond Chandler, Dashiell Hammett, Ray Bradbury, Robert Bloch, Jack London, Ernest Hemingway, et tant d’autres…

Votre biographie dit qu'avec cette première publication, vous lâchez tout pour vous consacrer à l'écriture… C'était ancré en vous cette envie de vivre de votre plume?

J’avais effectivement 29 ans quand j’ai pris cette décision.

Ce qui frappe, c'est la vitesse (sur votre site, certaines années de publications sont effarantes !) à laquelle vous publiez (est-ce la même que celle à laquelle vous écrivez, car on peut se dire qu'au début vous publiez plein de livres qui traînaient dans vos tiroirs) ?

J’écris beaucoup, et le site est déjà dépassé… Il y a encore plus en réalité. Il faudrait que je fasse une mise à jour !

On trouve des nouvelles, des romans dans différents domaines d’écriture (horreur, humour, fiction, gore, fantastique etc.)… vous n'avez ni genre ni "distance favorite"?

Non. J’aime écrire n’importe quoi du moment que le sujet m’intéresse sur le moment. J’aime écrire plein de choses très différentes, à l’image des influences si diverses que j’ai. Quelque soit le genre… En fait, je ne me pose jamais la question.

En tous cas, tout le monde s'accorde – à juste titre – à trouver que vous êtes un sacré raconteur d'histoires… Raconteur d'histoires, c'est quelque chose qui vous colle à la peau? Quels sont pour vous les bons ingrédients pour être un raconteur d’histoires ?

Je pense que la première chose c’est de croire en l’histoire que vous racontez. C’est essentiel ! La seconde chose c’est que vous devez croire dans les personnages, peu importe qu’ils soient un peu absurdes… Vous devez avoir ce désir brûlant de raconter l’histoire telle que vous l’imaginez!

Il faut aussi moins se poser des questions de style et s’attacher à trouver le bon ton pour raconter cette histoire.

Depuis vous avez obtenu de nombreux prix. Vous avez paraît-il, le dessus de cheminée le plus décoré de Nacogdoches. Qu’est ce que cela vous fait d’être tant récompensé ?

Je suis surpris et bien entendu content que les gens apprécient mon travail. J’ai eu le Bram Stocker Award pour des récits d’horreur, le Edgar Allan Poe du meilleur roman pour Les Marécages, un prix littéraire en Italie également…

En France on vous connaît plus particulièrement pour deux choses, la première, c’est la série Hap Collins et Leonard Pine, que vous débutez en 1990 : Où êtes-vous allé chercher ces deux larrons?

Je suis Hap Collins ! (Rires).

Plus sérieusement, j’ai été influencé par les endroits où j’ai grandi, l’univers dans lequel j’ai grandi, et les gens qui m’entouraient.

Lorsque vous avez écrit le premier, pensiez-vous déjà faire une série?

Non. J’ai écrit le second plus de trois ans après…

Actuellement je suis entrain de finir un nouvel épisode.

En France on en est au 5ème (si je ne me suis pas trompé), mais combien aux EU?

Juste un de plus puisque le premier n’est pas traduit en France et que le 7e est entrain d’être terminé.

Avez-vous une idée de pourquoi la Série Noire n'a pas commencé par publier le premier (Savage Season) ?

Je ne sais pas. Il faudrait demander à Patrick Raynal.

Ces deux personnages sont un peu comme deux vieux amis, non? Vous n'en avez pas trop marre d'eux?

Non je fais des « breaks » pour écrire d’autres choses mais j’aime vraiment bien ces gars. Je m’amuse vraiment beaucoup à écrire leurs aventures.

Et à travers eux, vous passez au crible l'Amérique d'aujourd'hui, ses défauts… et particulièrement le Texas qui a donné naissance au Président Bush, et où il est plus facile d'acheter un flingue qu'un paquet de clopes… Alors, le Texas et l'Amérique aujourd'hui???

Oui. Pour moi c’est vraiment l’occasion de parler du Texas et des Etats-Unis. Je veux d’abord m’amuser à écrire des livres drôles mais je veux aussi soulever des problématiques sur la situation sociale et politique de mon pays de telle façon que les gens puissent à la fois s’amuser en lisant et avoir une réflexion plus profonde .

Ce n’est pas que je veuille être prétentieux et parler de politique mais j’ai un point de vue à exprimer sur ces sujets.

Et, question qui pourrait être générale, comment sont appréciés vos livres eux États-Unis? Et par les texans « bas du front »?

Ils sont bien appréciés aux Etats-Unis, ils sont même assez populaires. Mais vous avez toujours des gens qui n’aiment pas ce que vous faite parce qu’ils se sentent offensés par votre propos. En même temps, si personne n’est jamais offensé par ce qu’on écrit, c’est peut-être qu’on a loupé son coup…

Vous me direz, vous ne craignez rien, vous pratiquez le Shen Chuan, "martial science"… Vous nous dites quelques mots de votre passion que vous pratiquez depuis plus de trente ans ? (auriez-vous écrit un essai là-dessus, par hasard?)

ça fait 46 ans que je fais des arts martiaux.

Oui j’ai l’intention d’écrire quelque chose à ce propos. Ce n’est pas encore fait mais… Je suis trop occupé pour l’instant.

On vous connaît aussi pour votre saga (même si ce n'est pas une série) du Texas des années 30 à aujourd'hui ("Les marécages", "La ligne noire"). Vous êtes un pur texan, Texas que vous n'avez pas quitté ("il a vécu partout, de Gladewater, Texas à Mount Enterprise, Texas à Nacogdoches, Texas !"). ça vous est venu comment l’idée de raconter le passé du Texas ?

C’est arrivé comme ça, très naturellement mais je n’ai pas prévu de faire une série spécialement sur le passé du Texas. J’ai écrit d’autres livres -qui ne sont pas des polars et qui ne sont pas traduits en France- qui se déroulent dans d’autres univers que le Texas…

Ce qui frappe c'est qu'entre Les marécages (années 30) et La ligne noire (années 50), rien n'a changé au Texas… et parfois à lire vos livres plus contemporains, rien n'a changé non plus… étonnant, non?

Oui je pense que les problèmes sont restés les mêmes. Ils ont changés d’échelle mais dans le fonds ils sont identiques. Parce que le problème est dans la nature humaine sans doute…

Et pour ces deux bouquins, vous avez fait des recherches, ou c’est plutôt la transcription de ce que les anciens vous ont raconté…

Mes parents étaient déjà très âgés lorsque je suis né. J’étais un enfant surprise ! Mes parents appartenaient à la toute fin du 19e siècle et j’ai entendu effectivement beaucoup de ces histoires assez anciennes sur le passé du Texas…

Dans Les marécages et Sur la ligne noire, c’est un gamin qui raconte l’histoire : ça n’a pas été trop dur d’écrire avec un point de vue enfantin ?

Non. C’est finalement assez naturel d’écrire en se plaçant du point de vue d’un enfant ou de quelqu’un de très jeune.

Vous comptez écrire jusqu’à quand avec ce rythme ?

Je n’ai jamais vraiment réfléchi à ça. Mon intention est de garder ma capacité à écrire jusqu’à la mort… (Rires). J’aime vraiment faire ça. J’ai grandi dans un monde très pauvre et j’ai toujours eu envie d’être écrivain. J’ai dû, pour y parvenir, faire - comme je vous l’ai dit au début- plein de petits boulots pas très reluisants… J’ai néanmoins beaucoup de respect pour les gens qui font ces boulots parce que je les ai fait moi-même. Mais mon vœu le plus cher c’était d’être écrivain et j’ai tenu ma promesse. Il ne me vient même pas à l’idée d’arrêter d’écrire avant la mort.

Merci beaucoup

Interview réalisée à Quai du polar à Lyon en 2008 par Christophe Dupuis, traduction Frédéric Brument.

De Joe Lansdale sur ce blog : présentation de Hap et Leonard ; Du sang dans la sciure ; Les marécages ; L'arbre à bouteilles ; Le mambo des deux ours ; Bad Chili ; Tape-cul ; Tsunami mexicain ; Vanilla Ride ; Diable Rouge ; Les enfants de l'eau noire ;

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