Une fille comme les autres, de Jack Ketchum
Dans une petite ville du New Jersey, au cœur des années 1950, David, douze ans, rencontre Meg. Un peu plus âgée que lui, Meg vient d’aménager avec sa petite sœur chez les voisins de David, les Chandler, après que leurs parents sont morts dans un accident de voiture. Dans ce petit quartier résidentiel, au cœur de l’été, la belle Meg constitue une nouvelle attraction. Mais petit à petit David se rend compte que les frères Chandler et leur mère, Ruth, entretiennent vis-à-vis de Meg une relation étrange et inquiétante. Dans cette maison dont la cave abrite un lugubre abri antiatomique, David, partagé entre la fascination et la répulsion, va être le témoin d’actes odieux.
« Vous serez effrayé de tourner ces pages, mais vous ne pourrez pas vous en empêcher » affirme Stephen King dans la préface qu’il a écrite pour ce roman ; et il s’y connaît. De fait, Jack Ketchum, en nous propulsant dans une petite ville américaine des années 1950 avec une bande de gamins qui n’est pas sans évoquer la nouvelle Stand by me de Stephen King, commence par nous caresser dans le sens du poil tout en distillant sobrement durant une centaine de pages les éléments qui font s’insinuer en nous une certaine sensation de malaise : la présence de cette abri antiatomique dans la cave de Ruth, la propension du jeune Woofer à torturer les insectes et ses soldats en plastique, les phrases laconiques et faussement innocentes de Ruth, les silences de Meg où le Jeu des enfants du quartier dont on sent aisément qu’il en faudrait peu pour qu’il dérape.
La seconde partie du roman nous plonge véritablement dans l’enfer que va subir Meg sous les yeux d’un David, témoin et acteur d’un incompréhensible déchaînement de violence. Car c’est bien là le plus glaçant dans Une fille comme les autres : la façon dont Ketchum, jamais, n’offre une véritable raison à la folie qui s’empare des jeunes du quartier et de Ruth. Et si, en faisant d’un David adulte le narrateur de ces événements, il arrive à s’épargner et à nous épargner les scènes les plus écœurantes, il n’en demeure pas moins que la seule évocation du fait qu’elles ont pu avoir lieu crée chez le lecteur un profond malaise.
Roman prenant pour point de départ un fait-divers réel ayant eu lieu dans le Midwest en 1965 (l’affaire Sylvia Likens), Une fille comme les autres est aussi une réflexion sur la propension de chacun à s’exonérer de toute responsabilité lorsque l’on est un acteur passif, et la formidable capacité à ne rien voir de voisins entretenant pourtant des relations régulières. La banalité même de la façon dont se lance cet engrenage de violence sans émouvoir quiconque fait du roman de Jack Ketchum une œuvre de terreur, un épouvantable cauchemar, jouant sur notre propre fascination-répulsion.
Voilà un livre qui secoue, et que l’on ne pourra que déconseiller aux âmes trop sensibles, mais qui est aussi brillant.
Jack Ketchum, Une fille comme les autres (The Girl Next Door, 1989), Éditions Bragelonne, 2007. Rééd. Folio Policier, 2013.Traduit par Benoît Domis.