Un peu timbré : Keller en cavale, de Lawrence Block
« Il observa le type jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’intérieur. Puis il regarda quelqu’un d’autre, une femme qui poussait un Caddie, et ensuite un gamin dont le boulot était de récupérer les chariots abandonnés sur le parking.
Keller se demanda combien c’était payé. Probablement le salaire minimum. C’était le genre de boulot qui n’offrait ni beaucoup d’argent, ni prestige, ni perspectives d’avancement. Malgré tout, cela avait des points positifs. Vous ne risquiez pas trop de vous retrouver avec votre photo diffusée à la télé et les flics du monde entier à vos trousses.
C’était peut-être là l’erreur qu’il avait commise tant d’années auparavant. Il aurait peut-être mieux fait de choisir comme métier de ranger des Caddie plutôt que de voyager aux quatre coins du pays pour tuer des gens ».
C’est effectivement tout le choix de carrière de Keller qui est remis en cause lorsqu’il s’aperçoit que le dernier contrat qu’il était censé exécuter n’en était pas un et qu’on ne l’a fait venir à Des Moines, Iowa, que pour lui faire porter le chapeau du meurtre du premier gouverneur noir de l’Ohio et candidat à l’élection présidentielle.
Pourtant Keller avait décidé de raccrocher définitivement depuis un bon moment pour se consacrer à sa passion, la philatélie. Pourquoi donc avoir accepté ce contrat ? Le voilà maintenant en cavale. Recherché par toutes les polices du pays, il a perdu son appartement, l’argent qu’il avait mis de côté pour sa retraite, son associée et sa collection de timbres.
Après Un petit boulot, de Iain Levison, dont on a parlé il y a quelques temps, voilà une autre manière d’envisager le travail de tueur à gages. Cette fois, Keller n’a pas tué mais est accusé, poursuivi. Une situation inédite, certes, mais face à laquelle, lorsqu’il y est confronté, notre héros trouve toujours un moyen de s’en tirer. N’était la disparition inquiétante de sa collection de timbres…
Dans cette aventure qui sent la fin de série, on retrouve toujours avec plaisir John Keller, sa philosophie de la vie, son flegme et ses questionnements existentiels. Et finalement ça n’est pas tellement de savoir pourquoi on a mis un crime un dos et s’il pourra se venger ou s’innocenter qui nous importe. C’est bien plutôt de suivre ses pensées, ses raisonnements biscornus que Lawrence Block, avec son humour acéré, lui prête… et de savoir s’il pourra un jour se remettre à la philatélie.
Car en effet, tout le charme des aventures de Keller tient à ça, au décalage entre le côté glauque de son métier et les loisirs et la vision de la vie de Keller, artisan soucieux de bien faire son travail et heureux, une fois qu’il est terminé, de se replonger dans ses revues philatéliques ou de se poser devant son écran plat.
Encore un petit bijou d’humour donc, un plaisir de lecture qui vaut bien une séance de relaxation. Espérons que, malgré les apparences, on puisse encore retrouver Keller et Dot dans d’autres histoires.
Lawrence Block, Keller en cavale, Seuil Policiers, 2010. Rééd. Points Policier, 2011. Traduit par Frédéric Grellier.
Du même auteur sur ce blog : Le pouce de l'assassin ; Le coup du hasard ; Tue-moi ;