Un jambon calibre 45, Carlos Salem
Nicolas Sotanovsky, argentin exilé à Madrid a la surprise, à son réveil, de se trouver nez à nez avec l’immense Serrano et son calibre .45. Il apprend alors qu’il a une semaine pour retrouver Noelia, propriétaire de l’appartement dans lequel il vient de s’installer et qu’il n’a jamais vu, sans quoi il aura le malheur de goûter au .45 de Serrano. Le voilà donc parti pour une errance à travers un Madrid caniculaire aux côtés de la belle Nina et avec pour chaperon ce gros jambon calibre .45 qui ne les quitte pas d’une semelle. L’occasion de croiser un détective désespéré, un chat de gouttières philosophe, des chauffeurs de taxis adeptes de tangas et quelques tueurs.
Comme de coutume chez Salem, l’intrigue débridée et dénuée de toute crédibilité est prétexte à une réflexion de fond sur l’identité. Dans Aller simple, premier roman de l’auteur, Octavio Rincón se voyait changer (très intimement) après la mort de sa femme et rencontrait même un hypothétique Carlos Gardel errant dans le désert marocain, dans Nager sans se mouiller Juanito Pérez Pérez, propulsé dans un camp naturiste avait bien du mal à dissimuler sa double vie et sa double identité, dans Je reste roi d’Espagne, enfin, Txema détective spécialiste du déguisement partait avec le roi d’Espagne à la recherche de l’enfant que ce dernier avait été.
Ici donc, Nicolas se trouve embringué dans une enquête où, plus que sa vie, c’est son identité et celle des gens qui l’accompagnent qui est mise à l’épreuve. Évoluant dans un décor de carton pâte, une Espagne et un Maroc dénués de matière, comme prêts à disparaître en fumée si l’on venait à les regarder de trop près, l’Argentin est autant à la recherche de Noelia que de lui-même. Il règne comme toujours chez Carlos Salem une ambiance vaguement onirique, ouatée, où les méchants sont certes effrayants de prime abord mais dont on comprend vite qu’ils ne sont pas plus dangereux que des mauvais rêves. Plus que d’une enquête, il s’agit donc d’une quête existentielle où Nicolas se cherche, où Carlos Salem cherche Nicolas et où Carlos Salem se cherche sans doute un peu lui-même.
Un jambon calibre 45 n’est indéniablement pas le meilleur roman de Carlos Salem, à cause notamment de circonvolutions un peu trop complexes dans l’intrigue qui tendent à parfois faire décrocher temporairement le lecteur (défauts auxquels on ajoutera un peu perfidement l’horrible couverture qui concourt pour l’emballage de livre le plus laid du millénaire). S’il demeure un livre agréablement décalé, porté par l’humour et la poésie de l’auteur et par des personnages attachants en formes de détournements des stéréotypes du genre qui participent de cette ambiance si particulière, sa lecture s’avère trop souvent lassante et Salem semble s’être quelque peu laissé emporter par son désir d’écrire au détriment d’un minimum de cohérence.
Bref, voilà un moment de lecture plutôt agréable pour les fans de l’auteur mais qui pourrait rebuter les lecteurs qui ne le connaissent pas encore auxquels on ne peut que conseiller de commencer plutôt par un de ses trois romans précédents.
Carlos Salem, Un jambon calibre 45 (Un jamón calibre 45, 2011), Actes Sud, 2013. Traduit par Claude Bleton.
Du même auteur sur ce blog : Aller simple ; Nager sans se mouiller ; Je reste roi d’Espagne ; Japonais grillés ;