Un entretien avec Michel Embareck autour du Rosaire de la douleur par Christophe Dupuis

Publié le par Yan

35.jpgPour compléter la chronique du Rosaire de la douleur, Christophe Dupuis nous confie cette interview de 2001. Une fois de plus, on le remercie chaleureusement.

 

Deuxième Série Noire, retour de Victor, personnage que tu développes, auquel tu rajoutes un brin de famille. Tu t'y attaches?

En dépit de quelques traits de caractère parfois déplaisants en société, Victor Boudreaux est un individu attachant. Ceux qui ont lu La mort fait mal savent d'ailleurs comment il lui arrive d'attacher les autres... Trêve de plaisanteries vaseuses. Oui, j'aime bien ce personnage qui me permet de le lancer comme un éléphant sous acide dans une fabrique de porcelaine, la porcelaine du crime économique et des magouilleurs de toutes sortes, politiques, chefs d'entreprises, fonctionnaires véreux et autres. J'ai un copain qui fréquente de très près le pôle financier du parquet de Paris et qui m'a demandé si je ne pourrais pas mettre Victor à leur disposition pour faire avancer quelques dossiers. Alors évidemment, je ne pouvais pas laisser Victor dans la situation de "La mort fait mal". J'ai donc déplacé le décor, inventé une autre arnaque juteuse et lui ai inventé une jeune branche familiale à laquelle il pourra se raccrocher dans l'avenir.

 

Encore une fois un nom de ville fantoche. Le livre est-il encore trop sulfureux? L'usine Potoutage, les noms farfelus de personnages, tu t'es bien amusé?

Comme dans La mort fait mal, le nom de la ville est un autre clin d'œil à Poisonville de La moisson rouge. Mes romans, quels qu'ils soient, n'ont jamais été situés dans des villes précises simplement parce que pour moi, hormis une dizaine de villes françaises très typées, toutes autres se ressemblent. Toujours le vieux quartier restauré, la gare avec ses vitraux, la basilique, le pole techno, le périphérique etc... A part les noms des rues et celui des fontaines, c'est du kif. Quant à l'usine Potoutage, il y a un bled en Côte d'Or où une entreprise fabrique de la soupe et ça pue toute l'année comme la pétrochimie pue en Moselle ou les conserveries de poisson dans le Finistère. A part ça, je m'amuse tout le temps en écrivant un bouquin.

 

 "GLLOQ", "Quand la paille est sur l'échelle"… tu es en forme sur ce livre.  T'es tu fixé une contrainte oulipienne du style "une bonne vieille  ringardise par chapitre"?

J'essaye juste de faire des blagues compréhensibles par Baranger (ndlr Son vieux pote et auteur du somptueux Visas Antérieurs, dans La Noire de Gallimard)! Mais j'adore aussi les expressions populaires comme "s'il y a de la paille sur l'échelle, c'est qu'il en a au grenier". Il existe une variante " Si y'en a en vitrine, c'est qu'il y en a en magasin" !!!! Sais-tu qu'à Nancy, des gens du CNRS ont fait une étude sur l'utilisation des expressions populaires dans mes bouquins ? Si, si c'est vrai.

 

Dans le même genre, une private joke avec François Henaff patron de bar?

Oui, oui. Et dans le prochain, il y a un type qui s'appelle Dupuis. Le problème, c'est de trouver des boulots honnêtes à tous ces gars là...

 

Tu explores méthodiquement ce que Victor appelle "la banalité du quotidien" : corruption, hommes véreux et vénaux… et tout est parfaitement expliqué,  décortiqué où trouves-tu toute cette matière et quelles sont tes sources d'inspiration?

Depuis le temps que comme journaliste d'investigation je fouille les poubelles du crime économique, j'en connais un rayon. Je me pose donc la question avant d'écrire un polar : sur quoi, en ce moment, peut-on se faire un maximum de fric malhonnête ? Et là, j'invente l'intrigue financière. Pour le reste, les notables véreux, les embrouilles de banquiers, notaires etc... et toute l'activité au noir, j'en rencontre régulièrement. Parfois, c'est tellement sophistiqué que je me fais expliquer par des spécialistes des brigades financières ou des impôts. Qu'est-ce que le crime ? C'est un acte qui t'envoie aux assises. Et pourquoi t'envoie-t-on aux assises ? Pour avoir complètement (meurtre) ou partiellement (viol, vol à main armée) dépossédé quelqu'un de sa vie. Aujourd'hui, le crime le plus répandu est le crime économique parce que chaque jour, un pourcentage de la richesse produite par ceux qui travaillent, s'évapore au profit d'un cercle restreint et presque toujours impuni. Elf, les frégates de Taïwan, sont d'excellents exemples. Ce cercle nous dépossède donc de notre vie et en même temps pénalise ceux qui n'ont pas de boulot puisque cet argent ne sert pas à la création d'emplois ou au social. Ma source d'inspiration c'est donc la colère et les pages roses du Figaro.

 

Sur celui-ci, tu décortiques particulièrement les méthodes maçonniques… gros travail de recherche?

Pas tellement parce que par une chance incroyable je suis tombé sur des documents internes évidemment complètement confidentiels qui m'ont facilité le boulot. Je veux préciser que je n'entretiens aucun préjugé défavorable à la philosophie maçonnique. Je constate simplement que depuis 20 ans, 80 % des affaires financières, du sang contaminé à la MNEF avaient pour protagonistes des francs maçons. Et on retrouve le même pourcentage dans des affaires régionales qui n'ont pas les Unes des quotidiens nationaux. Je précise aussi que les maçons mis en cause appartenaient très majoritaire tous à la même obédience qui en ce moment connaît un développement fulgurant dans les pays de l'Est.

 

Et tous les petits vices des élus?? C'est ton quotidien?

Oui, les vices, les ambitions médiocres, les embrouilles pour un poste misérable, j'en entends parler presque tous les jours. Le moteur d'un politique c'est le même que celui d'un môme qui monte sur scène avec une guitare. Il veut LE POUVOIR, les gonzesses, les bagnoles, la coke et la vie en première classe. A de rares exceptions près, le pouvoir les rend tous fous et complètement déconnectés de la vie quotidienne. En plus, leur vie est tellement chiante, de réunion en repas de travail. quand ça s'arrête, il doivent lâcher la pression et c'est pas beau à voir. Aujourd'hui, les politiques ne sont que des exécutants de la machine économique. C'est aussi une façon d'assurer leur avenir si jamais le pouvoir se dérobait.

 

On voit Victor et les antiquités, Victor et le cinéma? Sont-ce tes passions?

Pour les antiquités c'est un travail documentaire. Pour le cinéma noir et blanc, c'est ce n'est pas une vraie passion mais je suis tout de même très client chez Ciné Classic. Je conseille à ceux qui ne l'ont pas vu " Le désordre et la nuit" que j'évoque dans "Le rosaire de la douleur". Un superbe Gabin avec du sexe et de la défonce !

 

Boudreaux et "Belles mèches"… tu es un fan de James Lee Burke? Et si j'ai bien compris, il pourrait y avoir un Victor en Louisiane? Rencontrerait-il Robicheaux?

Je suis fan de Burke pour les descriptions qu'il fait de la Louisiane parce que je suis un accro du Bayou, de la Nouvelle Orléans et de la musique du coin. J'ai la chance d'avoir un copain sur place et ça facilite les séjours. Une rencontre Robicheaux - Boudreaux, ce serait une bonne idée mais ça fait de la viande contre les murs... Effectivement, s'il y a une troisième aventure de Boudreaux, ce sera dans ce coin.

 

Tu nous parles rapidement de ton prochain bouquin?

C'est un roman judiciaire écrit à quatre mains avec un copain juge d'instruction et Patrick Raynal l'a pris dans la série Noire pour l'an prochain. Entretemps, Cloaca Maxima paru en 99 à l'Archipel doit ressortir en Folio Policier.

 

Quelque chose à rajouter?

Oui, je vais m'installer place du Mercadiou à Saint-Macaire parce que les gens en ont marre d'entendre Creedence toute la journée. J'arrive avec mes vieux Motorhead. Et l'intégrale de Stevie Ray Vaughan si par hasard Baranger passait boire une mousse

 

Merci bien

 

Interview réalisée par Christophe Dupuis (et complétée par mail) en 2001, lors du passage de Michel Embareck pour une randonnée noire.

Publié dans Entretiens

Commenter cet article