Troublants : Mygale, de Thierry Jonquet – La piel que habito, de Pedro Almodóvar

Publié le par Yan

 mygale.jpgJ’ai mis bien (trop ?) longtemps à lire Thierry Jonquet. La sortie de La piel que habito, film inspiré de Mygale, m’a semblé une bonne occasion de pallier cette carence.              

Mygale, dans le roman de Thierry Jonquet, paru en 1984 – et pour l’édition que j’ai lu, revue par l’auteur en 1995 – c’est le surnom que donne un mystérieux jeune homme, Vincent, à son non moins mystérieux ravisseur qui le tient enfermé dans une cave. L’on suit aussi le parcours du docteur Richard Lafargue et de la séduisante Ève, qu’il séquestre dans une pièce de sa maison et pour laquelle il semble éprouver autant d’aversion que d’attirance. En fin de compte, le dernier protagoniste de cette histoire, Alex, petit truand en cavale après un hold-up qui s’est soldé par la mort d’un gendarme, est sans doute celui qui apparaît comme le moins intriguant. Et comme de bien entendu, les trajectoires de ces personnages vont finir par se croiser ou même se heurter de plein fouet, révélant une troublante vérité.

Il est bien compliqué de résumer ce roman sans trop en dire afin de ne pas déflorer trop vite le mystère de l’intrigue. On veillera d’ailleurs, si l’on tient à conserver cette part de mystère à aller voir le film d’Almodóvar après avoir lu le roman. Ce que l’on peut dire par contre, c’est que ce roman court, à l’écriture sèche et sans fioritures inutiles, au-delà du coup de théâtre magnifiquement orchestré par l’auteur, est une formidable réflexion sur l’identité et sur la folie.

Le propos est troublant, dérangeant, et Thierry Jonquet pousse la transgression jusqu’à la limite, évitant de justesse de sombrer dans le grand guignol. La force de ce roman est là, dans cette construction minutieuse qui permet, au terme d’un récit construit au cordeau, d’ébahir le lecteur sans qu’il considère pour autant le livre comme une simple performance burlesque. Pour incroyable qu’elle soit, l’histoire de Mygale vient malgré tout vous bousculer, vous pousse dans vos derniers retranchements et vous poursuit quelques temps encore après sa lecture. Impressionnant.

La construction même du texte, court, avec ses trois grands fils narratifs et ses flashbacks appelait presque naturellement une adaptation cinématographique ; et l’on peut se demander pourquoi elle fut si longue à venir. Encore que, en ce qui concerne La piel que habito, il serait plus juste de parler de réécriture ou de sur-écriture que de véritable adaptation.

De fait, Pedro Almodóvar a pris beaucoup de libertés avec le texte original. Un des fils narratifs importants, celui qui concerne Alex, a quasiment disparu et apparaît d’ailleurs juste comme une saillie carnavalesque, n’apportant pas grand-chose au propos. Un autre fil apparaît à la place avec l’histoire, essentielle dans cette intrigue cinématographique, de la mort de la première femme du médecin.

On comprend que le roman de Thierry Jonquet ait séduit Almodóvar, cinéaste dont l’œuvre est en grande partie hantée par ces thématiques liées à l’identité, sexuelle notamment, et à la transgression. Sur le canevas de Mygale, le cinéaste espagnol tisse une intrigue encore plus transgressive et dérangeante que l’originale sans pourtant verser là non plus dans le grand guignol. En fin de compte il apporte sa patte particulière en même temps qu’une pierre à l’édifice monté par Jonquet. C’est sans doute là une réussite, un peu gâchée toutefois par une fin téléphonée à cause de la recherche inutile d’une sorte de happy end un brin pathétique.

Thierry Jonquet, Mygale, Gallimard, Série Noire, 1984. Rééd. revue par l’auteur en 1995, Folio Policier, 1999-2011.

Pedro Almodóvar, La piel que habito, 2011.

Du même auteur sur ce blog : Le bal des débris ; La vie de ma mère! ;

Publié dans Noir français

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L
Bonjour,<br /> je viens de relire Mygale, roman auquel j'avais déjà consacré un article il y a quelques années, mais de mon côté, je n'ai pas envie de voir le film d'Almodovar...Par contre, si vous connaissez des<br /> livres du même genre (?). J'avais abandonné "la cabane de l'enfer" très rapidement...et je n'ai jamais trouvé que des huis clos mal écrits.
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Y
<br /> <br /> Bonsoir,<br /> <br /> <br /> Désolé, mais j'ai beau chercher, je ne trouve pas d'équivalent à ce huis-clos. Presque clos, et dans une veine noire - mais plus ironique - proche de Jonquet, je vous conseillerais de jeter un<br /> oeil à Lune captive dans un oeil mort, de Pascal Garnier : http://www.encoredunoir.com/article-lune-captive-dans-un-oeil-mort-de-pascal-garnier-95763984.html<br /> <br /> <br /> <br />
E
<br /> Je souscris pleinement à ton avis sur le livre comme sur le film. Je pense cependant que la fin de La piel habito, bien que certes très différente et plus "heureuse" que celle de Mygale, n'est pas<br /> dénuée d'intérêt, et contient dans cette dernière phrase prononcée, tout le cinéma d'Almodovar... et presque la promesse d'un autre film qu'Almodovar ne réalisera pas mais que le spectateur peut<br /> prendre plaisir à imaginer.<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Peut-être bien, Emmanuel, mais je dois dire que je ne suis pas un fin connaisseur du cinéma d'Almodovar. Par contre j'ai en effet admiré sa façon de s'accaparer l'histoire et de prendre des<br /> libertés par rapport à elle tout en la respectant. Ce roman était sans doute fait pour lui.<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> Mygale trainait dans ma bibliothèque depuis deux ans et il a fallu la sortie de La piel que habito pour que je m'y mette. Et bien, je ne regrette pas ! Le livre est très bien. Construction,<br /> écriture, personnages, rien à dire.<br /> Et puis, Almodovar. Sur le coup, je n'ai pas trop su quoi en penser, car la construction m'a déplu, le fait de ne pas tout mettre au même niveau, de se concentrer pendant une heure sur une<br /> intrigue, puis de balancer (même si le balançage était bien fait) le reste à la fin...<br /> Cela dit, en écrivant aujourd'hui mon article, je me suis rendu compte que, même si la construction m'a déplu, le film est quand même très bon.<br /> Et pour la happy end dont tu parles, je ne la trouve pas plus bateau que dans le livre !<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> Pour ma part, je persiste à penser que la fin de Mygale est plus ouverte et plus dérangeante que cel de La piel que habito. Ceci dit, cela n'engage jamais que moi!<br /> <br /> <br /> Au plaisir.<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Salut Yan<br /> Eternel Jonquet ! Pas vu le film d'Almodovar, mais il faut que je relise "Mygale". Ce qui ne pose aucun problème : les romans de Jonquet sont en permanence à porteé de ma main !<br /> Amitiés.<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Je serais curieux de savoir ce que tu penseras du film si tu as l'occasion de le voir. Mygale était mon premier  - et sans aucun doute pas le dernier - Jonquet et je l'ai effectivement<br /> trouvé d'une grande modernité.<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Un livre que j'ai lu et dont j'ai apprécié le suspens. Une écriture à la fois simple et créative. Un univers que j'ai aimé. Des personnages décapants.<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Des personnages décapants mais aussi décapés, même. Un superbe livre, en effet.<br /> <br /> <br /> <br />