Retraite des fonctionnaires : les solutions de Luc Baranger
« Des filets de sang sortent des lèvres et d’une oreille de celui qui pendant un an, en 5e B, martyrisa les doigts du jeune Pichon à coups de règle métallique.
Vlad enfile des gants de latex. À l’aide d’un torchon, il essuie l’arme des crimes, qu’il abandonne dans la cuisine. Il empoche le liquide des porte-monnaie et s’en va. La caisse de retraite de la fonction publique est soulagée de deux dossiers, Julien Lepers et Laurent Romejko ont perdu un couple de fans anonymes. »
Monsieur Berthier, professeur d’histoire-géo à la retraite et son épouse sont les premières victimes du caractère un tantinet rancunier de Vlad – oui, comme l’empaleur roumain – Pichon, militant communiste et jeune retraité après une carrière qui l’a mené du ministère des affaires étrangères aux chantiers navals de Saint-Nazaire.
Pichon aurait pu se lancer dans les grilles de Sudoku, la cueillette des champignons, la philatélie, la remise en forme grâce à Wii Fit ou encore l’alcoolisme, mais il a préféré se mettre en chasse des professeurs qui l’ont maltraité à l’école et au collège. Alors que la police est à ses trousses et qu’il se sait condamné par un cancer des amygdales, il fuit au Québec pour apprendre que son fils est mort, poussé au suicide par son employeur, un magnat de la finance. Après avoir allégé le budget de la sécurité sociale française de quelques pensions de retraites, Vlad décide donc de terminer sa carrière de tueur par un ultime baroud d’honneur en débarrassant le monde d’un banquier.
Au pas des raquettes, de Luc Baranger, fait partie de la collection Suite Noire, des éditions La Branche, dirigée par Jean-Bernard Pouy, un homme au goût très sûr comme le prouve ce petit roman mais aussi bien d’autres (Le futon de Malte, de Michel Embareck, Raclée de verts, de Caryl Férey ou encore Le débarcadère des anges, de Patrick Raynal, pour ne citer qu’eux).
En moins de cent pages, Luc Baranger réussit à nous faire rire et à nous émouvoir, sans temps mort, au rythme d’une langue imagée qui sert une histoire jouissive et cathartique pour le héros, pour l’auteur et pour le lecteur – pour peu qu’il ne soit pas ni un enseignant sadique ni un ponte de la finance internationale.
Une entrée en matière idéale pour découvrir un auteur qui gagne à être bien plus connu qu’il ne l’est déjà (nous aurons l’occasion d’en reparler), en particulier pour son sens aigu de la métaphore et ses dialogues percutants :
« Le chien de Le Duigou, un sympathique royal corniaud dont le pedigree se perd dans les cours de fermes alentour, vient renifler les pantalons de l’inconnu.
— Belle bête que vous avez là, fait le Nazairien pour amadouer le Breton
— S’appelle Armstrong.
— Comme le trompettiste ou le gars qu’a marché sur la lune ?
— Comme Lance... C’est parce que lui aussi, il a qu’une couille.
— On a les références qu’on peut.
Un ange passe et profite d’une bourrasque pour changer de braquet. »
Luc Baranger, Au pas des raquettes, Éditions La Branche, collection Suite Noire, n° 31, 2009.
Du même auteur sur ce blog : Maria Chape de Haine ; Backstage ; Dernières nouvelles du blues ;