Rendez-vous avec X : Philby. Portrait de l’espion en jeune homme, de Robert Littell
Après avoir lu La Compagnie, il y a quelques années, je me suis mis à chercher les romans précédents de Robert Littell et ai eu l’occasion de lire des bouquins aussi différents que le très tendu Les enfants d’Abraham, le roman d’espionnage de facture assez classique Ombres rouges ou le complètement déjanté Coup de barre. Autant d’occasions de constater que Robert Littell savait nous amener là où l’on ne s’attendait pas forcément à aller. Du coup aussi, je suis passé à côté de ses romans parus plus tard : Légendes et L’hirondelle avant l’orage : le poète et le dictateur. Tout cela pour expliquer que, en fin de compte je n’ai pas été étonné d’être surpris par la facture de ce nouveau livre de Robert Littell.
En commençant Philby, je m’attendais à une sorte de prequel de La Compagnie. C’en est un, dans un sens, en ce qu’il nous éclaire sur la période qui précède celle abordée dans le monumental roman et que l’on y rencontre des protagonistes – à commencer par Philby – qui apparaissent aussi dans La Compagnie. Mais c’est aussi une toute autre chose.
Philby. Portrait de l’espion en jeune homme, est, comme son titre l’indique, plus un roman biographique axé sur la personnalité de Kim Philby, un des célèbres « Cinq de Cambridge », ces jeunes gentlemen anglais devenus agents soviétiques, que sur son action en tant qu’espion. Certes, sur cette période qui court de 1933 à 1945, il est impossible de faire fi de cet aspect de la vie de Philby, d’autant qu’elle est directement un révélateur de sa personnalité. À moins bien sûr qu’il ne s’agisse que d’un écran de fumée destiné à la dissimuler ? C’est dans le doute ainsi instillé que réside le grand intérêt de ce roman dont chaque chapitre est un récit à la première personne d’une partie de la vie de Philby dans ces années, fait à chaque fois par une personne qui a été en contact avec lui : maîtresses, amis, agents recruteurs, agents de liaison… Autant de points de vue, de situations et de lieux différents qui entretiennent l’ambiguïté sur ce personnage hors-normes.
Ainsi, de la Vienne de Dollfuss à la Londres du Blitz en passant par l’Espagne en guerre ou l’intimité de Staline, tout un patchwork de témoignage nous permet de nous faire, petit à petit une idée de qui était, ou aurait pu être, Kim Philby, et de son évolution.
La fascination qu’exerce le jeune homme sur l’auteur est palpable. Elle participe sûrement de l’aspect « contemplatif » qui se dégage de certains chapitres où l’on a la sensation de simplement regarder, aux côtés de Robert Littell, Philby grandir. Plus qu’une simple histoire d’espionnage, et bien que cet aspect ait son importance et permette parfois aussi de redonner du rythme au récit, le Philby de Littell apparaît comme une réflexion sur l’engagement. Les questions lancinantes de la violence qu’il faut exercer pour faire triompher ses idées, de la trahison ou des choix que l’on est amené à faire pour soutenir sa cause sont ici posées crûment, dans un contexte historique idéal – ces années 1930 où l’on n’aimait pas les tièdes et où l’engagement politique dépassait largement le stade de la simple posture. Cela d’autant mieux que le récit est fondé sur un travail de recherche de toute évidence pointu dans lequel la fiction est savamment intégrée, à l’exception de la toute fin dont on peut regretter le côté abrupt.
Robert Littell, au départ, semble avoir voulu nous livrer sa version de l’histoire de Philby, celle que l’Histoire, pour le moment, n’a pas retenu. S’il s’en était tenu à cela, il aurait écrit un roman sûrement de bonne facture mais sans grand intérêt. En nous plongeant dans l’intimité d’un jeune homme idéaliste dont il se plaît à nous faire découvrir les multiples facettes et, un peu, ce que, d’après lui, elles peuvent dissimuler, il en fait un livre surprenant et attachant. Pas de récit haletant donc, ni même une véritable immersion dans les méandres des services secrets : un roman d’espionnage intimiste.
Robert Littell, Philby. Portrait de l’espion en jeune homme, BakerStreet, 2011. Traduit par Cécile Arnaud.
Du même auteur sur ce blog : La Compagnie.