Premier sang, de David Morrell
Décidemment branchées sur le cinéma en ce mois de juin, les éditions Gallmeister, après Délivrance, publient le roman dont a été tiré le premier – et seul bon – film mettant en scène John Rambo.
Une édition doublement intéressante : d’abord parce que l’on ne sait pas forcément qu’un livre est à l’origine du film, ensuite parce que l’on s’aperçoit que ce roman qui traite – superficiellement et avant tout au service de l’action et d’un message plus large sur la perception de la guerre du, certes – du syndrome post-traumatique chez les vétérans du Vietnam date tout de même de 1972, à un moment où le conflit n’est pas encore terminé. À ce titre, David Morrell fait indéniablement partie des précurseurs d’une vague qui ne déferlera vraiment que quelques années plus tard.
Premier sang est donc l’histoire de la rencontre entre John Rambo, ancien commando rentré traumatisé après sa captivité au Vietnam et qui vagabonde à travers les États-Unis, et le shérif Teasle, lui-même vétéran de la guerre de Corée, qui voit d’un mauvais œil l’arrivée en ville de ce jeune homme chevelu. Bien vite, l’entêtement de Rambo à rester en ville et celui de Teasle bien décidé à la lui faire quitter mène à l’explosion. Après un passage crispant devant le juge local et une arrivée musclée à la prison de la ville, John Rambo commet l’irréparable et s’enfuit. Commence alors une chasse l’homme durant laquelle les chasseurs ne tardent pas à devenir gibier, pour le plus grand malheur de Teasle :
« Les cercueils alignés devant l’autel, couvercles clos, et la ville entière qui le regarderait lui, puis les cercueils, puis lui encore. Comment expliquer à ces gens le pourquoi de l’affaire ? Pourquoi il avait cru bon d’éloigner le gamin de la ville, pourquoi le gamin lui en avait voulu au point de le défier, et pourquoi, une fois pris dans l’engrenage, ni l’un ni l’autre n’avait pu se résoudre à céder. »
Cet affrontement entre deux personnages obstinés, mais aussi entre deux Amériques et deux générations prend rapidement des proportions d’autant plus dantesques que les éléments viennent s’en mêler. Dans cette petite ville amorphe du Kentucky, bien loin du Vietnam, la guerre entre de plain-pied et la population se trouve confrontée de force à un conflit jusqu’à présent lointain et virtuel. Entrés dans une impasse, ni Rambo ni Teasle ne pourront plus reculer et si David Morrell sait dépeindre ses deux personnages principaux avec finesse, il maitrise aussi le suspense et l’action et qui donnent son rythme au livre et accrochent résolument le lecteur. Sans être dénué de défauts, en particulier quelques passages où l’auteur, à trop vouloir expliquer l’action et les pensées de ses personnages, se montre un peu trop démonstratif, Premier sang est toutefois un très bon premier roman, un thriller intelligent et une intéressante redécouverte (le livre a été traduit une première fois en français chez Belfond en 1983) qui mérite le détour.
« -Moi je ne tue pas pour vivre.
-Bien sûr. Mais vous acceptez un système où les autres le font pour vous. Et quand ils reviennent de la guerre, vous ne supportez pas l’odeur de la mort qu’ils trimballent avec eux. »
David Morrell, Premier sang (First Blood, 1972), Gallmeister, coll. Totem, 2013. Traduit par Éric Diacon.