Prague, faubourg est, de Timothée Demeillers
Après quatre années d’existence, les éditions Asphalte publient enfin leur premier roman français. Il aura fallu du temps avant que les éditrices trouvent en France la perle rare collant au plus près à leur ligne éditoriale, à savoir une littérature urbaine, cosmopolite ou du voyage.
Timothée Demeillers a il est vrai l’avantage de coller à ces trois acceptions. Auteur français il met en scène des personnages tchèques, américains, et tchèque émigré aux États-Unis dans une Prague à la marge des circuits de l’Office du tourisme.
Les destins croisés de Marek, qui a quitté sa ville à l’aube des années 2000 pour l’Amérique, de Jakub son meilleur ami resté sur place et a fini par sombrer dans la drogue et l’alcool et de Scott le touriste américain attiré par la bière pas chère et surtout les filles faciles sont l’occasion pour Demeillers de dresser le portrait âpre d’une ville passée trop vite de derrière le rideau de fer au capitalisme triomphant et à ses corolaires : explosion des mafias se livrant à la traite des femmes, tourisme sexuel de masse, enrichissement d’une minorité au détriment d’une majorité qui prend de plein fouet un libéralisme sauvage qui au lieu de la sortir comme elle pouvait l’espérer d’un statut d’esclave du régime l’a simplement fait esclave d’un autre.
Prague, faubourg est sans doute avant tout le récit par Marek de cette désillusion, de la perte progressive de l’espoir d’une vie meilleure dans son pays natal et, en fin de compte de la distance qu’il a prise vis-à-vis de ce dernier et de son ancienne vie. Et avec cela aussi, une certaine forme de mépris pour ce qu’il a été, pour ce que son ami et son pays sont devenus en même temps qu’une réelle nostalgie d’une jeunesse qui, s’il a cru la vivre à fond, lui a peut-être aussi échappé au bénéfice de Jakub dont la déchéance suscite elle aussi des sentiments contradictoires ; une sorte de tristesse, certes, mais peut-être aussi une certaine forme de revanche.
Au milieu de cela, Scott et ses amis incarnent cet Occident triomphant et sûr de sa supériorité qui a fait de la république Tchèque sa putain. Une putain qu’ils ne veulent voir que comme consentante pour éviter d’avoir à se regarder en face.
Roman du désenchantement et du renoncement, Prague, faubourg est révèle une plume acérée et précise qui sait dire la grisaille des âmes et des espoirs déchus d’un avenir radieux. Concis sans pour autant être dépouillé, il frappe fort et juste quand bien même on pourra regretter la trop allusive présence du personnage de Katarina et de son importance dans la relation entre Marek et Jakub. Bref, un auteur et un livre que l’on gagne à découvrir.
Timothée Demeillers, Prague, faubourg est, Asphalte, 2014.
Du même auteur sur ce blog : Jusqu'à la bête ;