Nous avons aimé, de Willy Uribe
Au début des années 1980, Sergio et Eder sortent tout juste de l’adolescence et partagent leur passion pour le surf malgré leurs différences. Sergio vit seul avec sa mère du mauvais côté d’Algorta, Pays Basque, dans les barres d’immeubles à bas loyers, tandis qu’Eder, fils d’un riche industriel, demeure dans une maison sise dans la partie de la ville dominant l’océan. Si le surf et la fumette les réunissent, il est évident pour l’un comme pour l’autre que c’est bien Eder qui mène la danse, finançant leurs escapades et leurs loisirs et jouissant de cette emprise sur son camarade. Mais lorsqu’ils entreprennent un voyage en direction du Maroc pour aller surfer de nouvelles vagues, leurs relations se tendent rapidement. Et si Eder avait un autre projet en tête ? Et si Sergio n’était pas aussi falot qu’il en a l’air ?
Willy Uribe, incontestablement, sait poser une atmosphère. Que ce soit dans cette ville basque pluvieuse en hiver ou sur une plage marocaine loin de tout être humain, il arrive avec une singulière économie de moyen à peindre un paysage tout en instillant subtilement le malaise.
Sergio qui semble regarder le passé et se regarder lui-même avec recul, sans indulgence, pose rapidement son statut de débiteur vis-à-vis d’un Eder dominateur par la force de sa richesse : « Dans de nombreuses cultures tribales, et encore plus dans les civilisations avancées, il existe un bienfaiteur, un dispensateur de biens. Moi j’avais Eder. Ce que je ne pigeais pas encore, c’était si je devrais payer mon tribut d’un coup ou en plusieurs fois. » Car il apparaît très vite qu’en effet Sergio devra rembourser d’une manière ou d’une autre les largesses d’Eder à son égard et peut-être même au prix de sa liberté.
Entre Eder, manipulateur et avide jusqu’à voler sa grand-mère et l’insouciant Sergio qui ne semble vouloir que surfer – ce qui nous réserve d’ailleurs de fort belles pages face à une vague marocaine de rêve – le déséquilibre est évident de prime abord. Mais Uribe, petit à petit, par légères touches, installe le doute. Au détour d’une phrase où dans la description vague d’un événement, le lecteur est amené à douter, à ne pas prendre la parole du narrateur pour argent comptant. Jusqu’à se demander qui manipule qui. Cela pourrait finalement être aussi simple que ça : le narrateur est un menteur. Mais ça n’est pas le cas. Et, au fur et à mesure, Uribe lève le voile sur la duplicité de chacun des personnages, y compris les plus secondaires.
Faux-semblants, trahisons, sur fond de surf, dans une Espagne en pleine transition démocratique dont la police et la justice n’ont pas encore forcément coupé avec les anciennes méthodes et dans un Maroc tout aussi verrouillé sont au programme de ce roman relativement concis, à l’écriture finement ciselée et à l’intrigue retorse à souhait. Une bonne surprise pour qui, comme moi, n’avait pas lu le premier roman de Willy Uribe, Le prix de mon père, paru chez Rivages il y a quelques temps.
Willy Uribe, Nous avons aimé (Los que hemos amado, 2011), Rivages/Noir, 2013. Traduit par Claude Bleton