Moscow, d’Edyr Augusto
Quelques mois seulement après la publication de Belém, Edyr Augusto est de retour chez Asphalte avec un deuxième roman tout aussi sombre et certainement plus percutant, ne serait-ce que parce qu’il fait seulement une centaine de pages et que la violence du précédent ouvrage se trouve ici très concentrée.
Entraperçue dans Belém, l’île de Mosqueiro, « Moscow », lieu de villégiature des riches habitants de la capitale du Pará, est ici le théâtre des forfaits de Tinho Santos et de sa bande d’adolescents et de jeunes adultes, belenenses pauvres ou issus de classes plus aisées, qui jouissent de voler, de violer, de tabasser.
C’est par la voix de Tinho qu’Edyr Augusto nous fait pénétrer ce monde et c’est ce qui fait la force de son roman. Cette narration à la première personne qui n’évoque que succinctement le contexte dans lequel a grandi le personnage permet d’éviter habilement l’habituelle justification des actes par la violence sociale sans pour autant l’exclure totalement. Car si Tinho est habité par une violence incontrôlable, ses amis, y compris ceux qui semblent issus de familles plus riches, ne sont pas en reste. C’est en fait toute une génération en perte de repères que nous présente Augusto ; abandonnée par celle de leurs parents qui, à l’image de Mara, la mère de famille cédant au charme de Tinho, pense avant tout à l’assouvissement de ses propres désirs.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne prend pas de gants. Jouant des contrastes entre l’image de papier glacé d’une île des amoureux dédiée aux loisirs d’une population arc-en-ciel habitée par une extraordinaire joie de vivre et celle d’une île de perdition pour une jeunesse sans repère et assoiffée de sexe brutal et de violence gratuite, entre le jour et la nuit, entre la plage et la profondeur d’une forêt qui ne peut pourtant pas complètement digérer cadavres que l’on y balance, Edyr Augusto transforme le paradis supposé en authentique nasse pour Tinho et sa bande comme pour leurs victimes.
Sans porter de jugement donc, avec seulement le regard acéré du journaliste qu’il est, l’auteur fait voler en éclat l’image lissée d’un Brésil loin des favelas de Rio ou Saõ Paulo. Il appui là où ça fait mal et dresse le portrait inquiétant d’une jeunesse à laquelle on n’a su inculquer aucune valeur autre que celle de la recherche du plaisir et de l’étanchement immédiat des pulsions. Roman d’une rare violence, Moscow crée le malaise, fouille dans le cerveau reptilien de ses personnages – et du coup un peu dans le nôtre – et nous laisse sidérés.
Edyr Augusto, Moscow (Moscow, 2001), Asphalte, 2014. Traduit par Diniz Galhos.
Du même auteur sur ce blog : Belém ; Nid de vipères ; Pssica ; Casino Amazonie ;