Monstrueux : Monster, de Patrick Bauwen
Paul Becker est médecin à Naples en Floride. Sa vie bascule dans l’horreur le soir ou son meilleur ami, un policier, débarque dans son cabinet avec un prisonnier qui vient, de toute évidence de passer un sale quart d’heure. Après une bagarre qui voit repartir l’interpellé récalcitrant encore plus amoché qu’à son arrivée, Paul découvre un téléphone portable. Dessus, trois photos : celle d’un enfant disparu, une autre d’une scène d’orgie avec des mineurs, une dernière représentant le père de Paul. Le médecin va se trouver au centre d’un énorme complot qui fait exploser sa vie et celle de ses proches.
On est donc là dans le thriller tel qu’on se l’imagine (un bon point « Imaginaire » pour Bauwen) : le gentil est très gentil ; certes, il a tendance à négliger sa femme pour mieux s’occuper de sa petite clinique pour laquelle il s’est endetté afin de faire bénéficier ses patients de climatiseurs « superbes » et de stores « élégants », mais il finit toujours par s’en excuser. Le méchant, qui s’appelle Kosh, est très méchant. Si vous ne me croyez pas, jugez-en par vous-même : « Kosh l’aurait bien tué dans son fauteuil. Il lui aurait volontiers enfoncé un tisonnier dans la gorge, par exemple, ou bien versé de l’acide dans les yeux. Non parce que le businessman était un pédophile – cela Kosh n’en avait rien à foutre – mais parce qu’il était curieux de faire de nouvelles expériences ». On se trouve aussi toujours à la limite du fantastique. Kosh est un magicien (bon point « Imaginaire ») et, parfois, le spectre de leur mère décédé vient aider les petits enfants tombés entre les mains du méchant (re-bon point « Imaginaire »). Et, bien entendu, nous sommes dépaysés car cela se passe en Amérique.
Ajoutons à tout cela le fait que l’intrigue est particulièrement retorse, bien que souvent prévisible quand elle n’est pas déviée par des rebondissements peu crédibles que l’on ne révèlera pas ici afin de ne pas perturber le lecteur curieux. Nul doute donc, que Bauwen connait bien ses classiques (les clins d’œil sont légions au cinéma d’horreur, de Vendredi 13 à Saw, ou aux séries télévisées, X-Files côtoyant Prison Break) et les archétypes du genre. Peut-être même qu’en évitant certaines circonvolutions inutiles et enlevant 100 ou 150 pages à cette histoire qui traîne en longueur (600 pages), il aurait pu en faire un roman qui, à défaut d’être très original ou séduisant aurait été efficace. Car même, s’il utilise un sujet rebattu – le réseau pédophile machiavélique – il arrive à ne pas tomber dans le travers de la description complaisante et nauséabonde de scène horribles.
Là ou le bât blesse vraiment chez Patrick Bauwen, et où il perd l’ensemble des bons points acquis jusque là, c’est le style.
Cela commence dès le début par une utilisation jusqu’à l’écœurement de la phrase nominale et de l’adresse au lecteur qui, loin d’immerger ledit lecteur dans l’histoire, vient renforcer le sentiment d’artificialité du récit. Un sentiment dont on n’arrive finalement plus à se défaire et qui donne à cette histoire un terrible aspect « carton pâte ». Ensuite, tout au long du récit, l’auteur semble se chercher un style ou, plutôt ne pas arriver à en assumer un. Sur l’ensemble du roman, cela donne des chapitres à la première personne au présent (avec ces terribles adresses au lecteur) et d’autres, qui se déroulent sensiblement au même moment, au passé, mêlant imparfait pour la description et passé composé pour les actions. Si le procédé est grammaticalement correct, il apparaît ici extrêmement lourd et l’on se demande pourquoi l’auteur refuse d’utiliser le passé simple. D’autres scories encore viennent s’ajouter à cette structure déjà indigeste, en particulier un usage de comparaisons et des métaphores hasardeuses et qui, lorsqu’elles ne le sont pas – voire même quand elles sont plutôt honorables – sont aussitôt gâchées par le désir d’en faire trop, en usant par exemple d’onomatopées qui font sensiblement baisser la tension et confinent parfois au ridicule : « La pluie découpe d’éphémères rideaux de dentelle sous les gouttières. Plic-ploc dans les flaques. On dirait que la lumière de l’après-midi a été absorbée par un trou noir ».
En fin de compte, Monster apparaît comme un roman médiocre, trop long, trop compliqué et souvent trop peu crédible. Le désir de Patrick Bauwen de créer une complicité avec le lecteur à travers un ton qui se veut familier mais apparaît souvent très artificiel, des adresses directes dont on a déjà dit combien elles sont pesantes, et un humour de série TV qui tombe trop souvent à plat, en rend par ailleurs la lecture très fastidieuse. Certes, il y a de l’Imaginaire dans Monster, mais il s’agit surtout, plus que de l’imaginaire de Bauwen lui-même, d’un imaginaire issu du cinéma d’horreur, des séries TV et des romans de Stephen King. Patrick Bauwen les a bien assimilé mais nous les restituent tels quels, sans grande originalité et d’une manière pour le moins besogneuse.
Patrick Bauwen, Monster, Albin Michel, 2009. Rééd. Le Livre de Poche, 2010.