MachiAdam, de Jilali Hamham
Étudiant issu d’une cité d’Angers, Adam a choisi, avec son ami Nino de devenir un caïd du crime. Mais, pour se lancer, il a besoin de faire venir une grosse quantité de shit du Maroc. Persuadé d’être un petit Machiavel, Adam monte un plan aussi complexe que vicieux dans lequel il entraîne Marie-Anne, fille d’une famille bourgeoise, dont il ne doute pas que ses talents d’acteur lui permettront de la manipuler à sa guise. Mais, au fur et à mesure que son stratagème prend forme et se réalise, Adam se trouve confronté à une expérience qui s’avère bien plus éprouvante qu’il ne pensait.
Premier roman de Jilali Hamham, MachiAdam révèle d’abord un auteur doté d’une vraie plume. Il est indéniable que Jilali Hamham sait manier les mots et monter une intrigue dans laquelle la tension va crescendo en même temps que son personnage s’enfonce un peu plus dans l’abîme de son égocentrisme et de sa vanité.
Et Jilali Hamham est sans doute lui-même conscient de ce talent. Et peut-être en fait un peu trop, ce qui l’amène à vouloir sans cesse en rajouter un peu dans la fioriture linguistique. Cela aboutit souvent à un texte où le désir de coller à une réalité (les dialogues sont chargés de notes de bas de page expliquant tel ou tel mot tiré de l’arabe, du berbère, du manouche ou de l’argot de cité) côtoie celui de donner à l’histoire un tour théâtral fondé sur l’abondance de métaphores, de comparaisons, de jeux de mots (proches parfois du calembour). Ce parti pris fait que le texte, chargé de fioritures, prend souvent un ton ampoulé qui peut finir par lasser :
« Minuit sonnait à ma montre, l’heure des batteries lunaires. Pleine de débauches et de sordides traquenards, la nuit rassemble les criminels qui ont un intérêt commun à se réunir dans une même pièce où, bien entendu, les uniformes ne sont pas conviés. Sur les plis des costumes taillés, on peut relever l’esquisse de cornes acérées… ».
On pourra objecter que le style de ce roman à la première personne révèle aussi la profondeur de la vanité d’Adam. C’est un fait, et cela participe aussi du côté antipathique du personnage qui aime tant à s’écouter parler et à se prendre pour Machiavel ou Sun Tzu. Le problème, pour moi en tout cas, est que le vernis d’ironie, le semblant d’autodérision dont se couvre Adam dissimule un sérieux qui finit par devenir usant. On passera sur l’utilisation de Machiavel et Sun Tzu comme inspirateurs des criminels banlieusards, espèce de tarte à la crème du genre venue remplacer subrepticement le Scarface de De Palma dans cette mythologie qui gagnerait à être renouvelée (Gene Kerrigan en joue par exemple fort bien dans L’impasse en mettant en scène un criminel cherchant à s’inspirer de Sun Tzu mais qui n’y comprend pas grand-chose). Tout cela pour dire que, en ce qui me concerne, je n’ai jamais su sur quel pied danser : étais-je face à un récit faussement sérieux ou faussement ironique ? Une sensation confortée par l’utilisation un peu trop appuyée des coïncidences qui font rebondir l’histoire (en particulier les apparitions de douaniers à répétition).
Et puis, bien entendu, il y a les personnages. Adam, donc, personnage principal pour lequel on a bien du mal à éprouver de la sympathie, y compris lorsqu’il se trouve dans les pires des situations tant on se dit qu’il l’a bien cherché ; Marie-Anne, la pauvre fille dont la naïveté confine trop souvent à une bêtise telle qu’elle en deviendrait presque criminelle et pour laquelle, du coup, on peine aussi à éprouver de l’empathie. Se sont finalement les personnages secondaires aux carrures de figures mythologiques (Saïd l’amputé avec son trois-quarts en cuir, le terrible Six-Doigts ou Manzanne le mécanicien manouche) qui s’avèrent être les plus fascinants.
MachiAdam se révèle être un roman sans aucun doute intéressant mais qui souffre d’être bien trop chargé. Comme si Jilali Hamham avait voulu condenser dans un seul livre toute l’étendue de son talent au point de nous faire frôler l’indigestion. Il n’en demeure pas moins que Rivages nous fait découvrir un nouvel auteur qu’il sera intéressant de suivre dans les années à venir.
Jilali Hamham, MachiAdam, Rivages/Noir, 2012.