Luke la Main Froide, de Donn Pearce
Incarcéré pour avoir décapité des parcmètres alors qu’il était ivre, Lloyd Jackson rejoint pour deux ans un chain gang de Floride. Là, son détachement et son appétit de vivre lui font gagner son surnom de Luke la Main Froide. Homme libre malgré l’enfermement, Luke ne peut que s’attirer les foudres de ceux qui sont chargés de faire appliquer sa sentence.
Film emblématique des années 1960, ode à la liberté et dénonciation des conditions de détention dans des chain gangs surveillés par des gardiens dont la sociopathie n’a parfois rien à envier à ceux qu’ils gardent, Luke la Main Froide est donc d’abord un roman que l’on a plaisir à découvrir dans sa traduction française publiée trop discrètement par les édition Le Passage du Nord-Ouest avant d’être éditée en poche par Rivages.
Il ne faut sans doute pas chercher dans ce roman plus que ce qui s’y trouve clairement. Ayant lui-même purgé une peine de deux ans dans un chain gang floridien, Donn Pearce témoigne et dénonce un système carcéral fondé plus sur le fait de briser des hommes que de les réhabiliter. Envoyé là deux ans pour un écart relativement bénin, Luke est un garçon de son temps durement marqué par la guerre et que les écarts d’un père prédicateur ont rendu férocement athée. Luke n’est pas un ange, mais il n’est pas un monstre non plus et son détachement extrême est l’arme qu’il a trouvée pour accepter le monde dans lequel il doit vivre.
Mais ce détachement et ce sourire dont il ne semble jamais se départir qui font de lui un homme libre parmi les prisonniers et qui, par rebond, donnent aussi à ses codétenus l’illusion de la liberté résonnent comme une provocation à l’égard de ceux qui sont censés le punir. Cristallisant à la fois la sympathie des prisonniers et la haine des gardiens, Luke va devoir payer son indéfectible irrévérence vis-à-vis du système. Dès lors, le glaive d’une justice aveugle qui entend bien le punir, incarnée par le Walking Boss Godfrey caché derrière ses lunettes-miroir et que le narrateur affuble du nom de l’Homme Sans Yeux, va s’abattre avec obstination.
Le bras de fer qui s’engage alors entre Luke et les gardiens offre au lecteur, après une première partie où, malgré une tension palpable le récit reste bon enfant, centré sur la figure d’un Luke souriant qui apporte son insouciance au camp, une seconde moitié de roman plus sombre et violente qui met en exergue l’incapacité du système à faire plier un homme seul autrement que par son élimination ; une victoire à la Pyrrhus qui achève de le déshonorer.
Scénarisée par Frank Pierson (scénariste plus tard d’Un après-midi de chien) et Donn Pearce, l’adaptation cinématographique de Luke la Main Froide, très fidèle au roman, donne à Paul Newman un de ses plus beaux rôles et bénéficie par ailleurs d’un formidable casting et d’une très belle photographie. Voilà donc l’occasion de découvrir ce livre et de (re)découvrir ce film.
Donn Pearce, Luke la Main Froide (Cool Hand Luke, 1965), Éditions Passage du Nord-Ouest, 2011. Rééd. Rivages/Noir, 2013. Traduit par Bernard Hœpffner.