Les fantômes de Saïgon, de John Maddox Roberts
Ancien flic reconverti dans l’investigation privée, Gabe Treloar est contacté par un ancien compagnon d’armes devenu producteur de cinéma. Ce dernier, Mitch Queen, envisage de faire tourner à Saigon un film à propos de la guerre du Vietnam et a reçu des menaces qui pourrait avoir un lien étroit avec son passé commun avec Gabe. En effet, ils étaient tous les deux conscrits en tant que policiers militaires en 1968, au moment de l’offensive du Têt.
D’une idée de départ qui n’a rien de bien original a priori, John Maddox Roberts tire un roman moins classique que ne le laisse supposer son résumé. Car, au-delà de l’intrigue, qui comporte ce qu’il faut d’action, de tourments intérieurs du héros forcément fragilisé par son histoire personnelle et de pistes que l’on suit avec plaisir, Les fantômes de Saigon apporte une vision de la guerre du Viêtnam un peu différente de celle à laquelle nous sommes habitués, cinéma oblige. Fort sans doute de sa propre expérience (il a lui-même été mobilisé au Vietnam), John Maddox Roberts présente la manière dont cette guerre est devenue un des derniers grands mythes américains avec ce que cela peut réveiler de fantasmes, d’autant plus quand, comme c’est le cas dans ce roman, ont la confronte à la manière dont elle a pu être présentée par le cinéma.
Le paradoxe de ce livre tient en grande partie à ce que, tout en faisant passer ce message (en gros, « votre vision de la guerre du Vietnam et de la violence en général est faussée par la manière dont la fiction vous les a présentées ») joue aussi des fantasmes que suscite encore ce conflit et ses zones d’ombres en mettant en scène ces «Fantômes » du titre, gang de soldats américains déserteurs réfugiés dans le quartier chinois de Cholon sous les ordres d’un mystérieux personnage aux accointances supposées avec la CIA. Ainsi, tout en présentant régulièrement dans un récit à la première personne les différences entre la réalité et la fiction dès lors qu’il est question d’armes ou de la guerre, Gabe Treloar ne peut s’empêcher de se laisser entrainer par ses propres fantasmes, réduisant peu à peu les distances entre la fiction et la réalité.
Si l’écriture reste classique, tout comme, donc, le canevas de l’intrigue, l’angle avec lequel John Maddox Roberts aborde son roman lui confère une certaine originalité et en fait au final un livre de bonne facture dans lequel on se laisse facilement entrainer.
John Maddox Roberts, Les fantômes de Saigon (The Ghosts of Saigon, 1996), Gallimard, Série Noire, 2002. Rééd. Folio Policier, 2012. Traduit par Francis Lefebvre.