Les allongés, de Charlie Williams
Royston Blake est un vrai dur. Il est ni plus ni moins que le videur du Hoppers Wine Bar & Bistro de Mangel. C’est dire si ça vous pose un homme. Blake est aussi un crétin, un abruti congénital bas de plafond. Et même dans ce patelin paumé au taux de consanguinité élevé qu’est Mangel il fait un peu pitié. Mais comme par ailleurs il fait aussi un peu peur, l’un dans l’autre, il n’y pas grand monde pour lui chercher des crosses. Sauf les Munton, ses anciens patrons, qui semblent lui en vouloir même s’il les a aidé à mettre le feu à leur boîte – faisant griller au passage sa femme – pour toucher l’assurance. Pire, des rumeurs courent : Royston Blake serait devenu un dégonflé, une couille molle. Il est temps pour le roi des videurs de rétablir sa réputation.
D’évidence, Charlie Williams a lorgné du côté de Jim Thompson avant de se lancer dans l’écriture des aventures de Royston Blake tant ce dernier, narrateur de sa propre histoire, rappelle le Nick Corey de 1275 âmes. En bien plus bête, bien entendu. Encore que l’incommensurable bêtise de Blake puisse aussi passer pour un stratagème de ce dernier afin de minimiser sa responsabilité dans les actes qu’il commet.
De fait, en jouant de cette ambiguïté, Charlie Williams place le lecteur dans un étrange entre-deux. Alors que l’on aborde Les allongés en riant franchement des réflexions de Royston Blake sur son environnement et sa vie frappées au coin de ce bon sens populaire qui a fait le succès des Brèves de comptoir de Jean-Marie Gourio, on passe petit à petit à quelque chose de plus sombre. Le rire se fait moins franc au fur et à mesure que l’on s’aperçoit que le récit du videur finit toujours par prendre une voie lui permettant de se disculper en partie de ses actes ou de les justifier par son idiotie.
C’est ce subterfuge qui permet à Charlie Williams de dépasser la simple histoire déjantée pour proposer un véritable roman noir, aussi amusant soit-il par ailleurs.
Proposant une galerie de personnages particulièrement gratinés, tous plus arriérés et vicieux les uns que les autres à l’exception notable de quelques personnages féminins qui, bien que malmenés, élèvent un peu le niveau intellectuel de la ville de Mangel, balancés dans une intrigue échevelée, Les allongés se révèlent ainsi être un roman souvent amusant, régulièrement inquiétant et, d’une manière générale, assez séduisant. Reste à voir si les volumes suivants (dont on espère qu’ils auront eux aussi droit à une publication en poche) tiendront aussi la route.
Et pour finir, laissons la parole à Royston Blake qui évoque son veuvage :
« Il y avait plus rien d’intéressant depuis le décès de Beth. Personne pour me filer un coup de latte quand je roupillais devant la télé. Personne pour ouvrir la fenêtre quand la pièce puait la fumée de clope et les pets. Personne pour ramasser les cannettes vides et vider le cendrier. C’étaient ces trucs que je me rappelais depuis quelques temps. Les bonnes choses. »
Charlie Williams, Les allongés (Deadfolk, 2004), Gallimard, Série Noire, 2007. Rééd. Folio Policier, 2009. Traduit par Daniel Lemoine.
Du même auteur sur ce blog : Des clopes et de la binouze ; Le roi du macadam ;