Le tireur, de Glendon Swarthout
« Ça doit faire longtemps que vous n’avez pas regardé un calendrier, Books. On est en 1901. Les jours anciens sont morts et enterrés et vous ne le savez même pas. Vous pensez que cette ville est juste un endroit comme les autres où faire régner une terreur de tous les enfers. Un enfer, c’en est un. Bien sûr qu’on encore des saloons, des filles et des tables de jeu, mais on a aussi l’eau courante, le gaz, l’électricité et une salle d’opéra, on aura un tramway électrique d’ici l’année prochaine et on parle même de paver les rues. On a tué le dernier crotale dans El Paso Street il y a deux ans, dans un terrain vague. »
Lorsqu’il arrive à El Paso avec pour toutes possessions un cheval, une selle, ses colts, une montre, quelques vêtements dans une valise, un stetson, un coussin et un cancer de la prostate en phase terminale, John Bernard Books apparaît déjà comme un anachronisme dans un farwest qui entre de plain-pied dans le vingtième siècle. Depuis la mort ou la retraite de Wild Bill Hickok, John Wesley Hardin, Wyatt Earp et consort, Books est le dernier tireur – manière pudique de dire tueur – légendaire à rouler sa bosse dans l’Ouest. Bloqué a El Paso par la maladie qui le ronge, il devient vite une attraction locale mais aussi une cible pour les rapaces qui entendent se faire un peu d’argent sur son nom et, surtout, une cible pour quelques tireurs ou aspirants tireurs de bas-étages déterminés à se faire un nom. Surtout, s’il sait bien qu’il ne vaincra pas le cancer, il entend au moins garder la main et choisir sa mort.
Ultime vestige d’un monde en train de disparaître, et que la société entend bien voir sombrer aussi vite que possible pour entrer dans la modernité et la Civilisation, John Bernard Books gêne autant qu’il suscite la curiosité. Phénomène de foire, tigre en cage, Books représente - autant que les charognards qui guettent son dernier souffle ou voudraient le lui faire rendre - le déclin ultime du monde dans lequel il a vécu.
Entre une première fusillade qui ouvre le roman et une troisième qui le clôt, on assiste donc au dérangeant défilé des profiteurs, des curieux, de ceux qui veulent définitivement tourner la page d’une ère qui prend fin, et, surtout, à l’introspection, aux regrets, et à la vague nostalgie d’un Books coincé entre deux mondes. Entre celui des vivants et des morts, entre un monde mort et un autre qui prend vie.
Crépuscule d’une vie et d’un monde, Le tireur est un roman prenant et une fascinante étude de caractères. Après Lonesome Dove, les éditions Gallmeister continuent donc leur beau travail de réédition de classiques du genre sur le mode crépusculaire. Espérons qu’elles en dénicheront encore d’autres.
Glendon Swarthout, Le tireur (The Shootist, 1975), Gallmeister, coll. Totem, 2012. Traduit par Laura Derajinski.