Le retour de la vengeance : Moonlight Mile de Dennis Lehane
On peut dire qu’on l’aura attendu le retour de Patrick Kenzie et d’Angela Gennaro, les héros récurrents de Dennis Lehane. Les voilà enfin, douze ans après leur dernière enquête (Prière pour la pluie, édité en 2004 en France mais paru en 1998 aux USA, juste après Gone, Baby Gone).
De l’eau a coulé sous les ponts. Angela a repris ses études, Patrick travaille comme enquêteur contractuel dans une grande société de surveillance qui lui fait miroiter une embauche définitive qui ne vient jamais ; et puis ils ont un enfant, une fille. La petite famille tire le diable par la queue, les parents regrettent parfois leur ancien travail de détectives mais, malgré tout, il semble qu’ils aient enfin trouvé, si ce n’est le bonheur, du moins la paix. Jusqu’au coup de fil nocturne de la tante d’Amanda McCready, la petite fille qui, douze ans plus tôt avait été enlevée par des policiers qui l’avaient ensuite confiée à une famille qu’ils estimait plus à même de lui offrir une éducation et une vie décente. Patrick et Angela l’avaient retrouvée. Et Patrick avait choisi de la rendre à sa mère indigne, alcoolique et irresponsable. Un poids qu’il porte encore et qui a manqué faire exploser son couple avec Angela.
Aujourd’hui, Amanda a 16 ans et a de nouveau disparu. Sa tante craint qu’elle n’ait été, une fois de plus, enlevée.
On les attendait, donc. Avec tout de même une certaine appréhension. Parce qu’à trop attendre, on finit parfois par idéaliser les épisodes précédents et à espérer beaucoup du nouveau. Parce que, aussi, Lehane nous a entre temps offert son chef-d’œuvre : Un pays à l’Aube.
De fait, j’ai été un peu déçu de voir Angela et Bubba, l’ami psychopathe, en retrait. Quel plaisir par contre de retrouver les talents de dialoguiste de Lehane, l’humour désespéré de Patrick Kenzie… Patrick Kenzie tout court. Et puis au-delà de l’intrigue – intéressante sans toutefois casser trois pattes à un canard – on retrouve le talent de Lehane dans la description de cette Amérique d’aujourd’hui ; celle de la crise économique et des laissés pour compte, où les classes moyennes luttent pour ne pas sombrer dans la misère (superbe description du lotissement inachevé aux maisons abandonnées). Et si l’on a plus droit à Bubba, on découvre Yefim, le tueur mordave (oui, oui, de Mordavie), qui vaut le déplacement et nous offre des dialogues surréalistes et hilarants, quoi que pas autant que ces pauvres petites filles riches incapable de s’exprimer autrement qu’en langage SMS (lol).
Finalement, si j’ai vraiment ressenti une déception face à ce roman, c’est en arrivant à la fin et en me disant qu’il semblait bien que Lehane venait si bien de verrouiller la vie de ces héros que l’on risquait fort de ne plus les revoir. Et ça, c’est bien la preuve que le livre était assez bon pour espérer avoir l’occasion d’en lire d’autres. Heureux ceux qui n’ont pas encore lu une aventure de Kenzie et Gennaro et qui auront le bonheur de les découvrir !
Dennis Lehane, Moonlight Mile, Rivages/Thriller, 2011.