Le Poulpe au Canada : Maria Chape de Haine, de Luc Baranger
Il était temps. Je viens de lire mon premier Poulpe. Et comme j’imagine qu’en plus de 270 aventures le niveau doit être inégal, j’ai voulu tabler sur une valeur sûre. C’est pour cela que je me suis tourné vers Luc Baranger. Et je n’ai pas été déçu.
Le corps de Quentin Cointreau est retrouvé flottant sur les eaux du lac Memphrémagog, au Québec. De toute évidence quelqu’un lui en voulait beaucoup. Il a subi le genre de supplice habituellement réservé à Raspoutine : on lui a collé une balle dans la rotule, on l’a jeté à l’eau et on lui a fracassé le crâne à coups de marteau (pas nécessairement dans cet ordre).
Quentin, c’était le meilleur pote de Gabriel Lecouvreur, le Poulpe, depuis la communale et jusqu’à une tentative, à l’aube de leur vie d’adulte, d’émigration au Canada. Tentative vite avortée pour Gabriel rentré à Paris après quatre jours de blizzard et une déception amoureuse quand est apparue la belle Maria un matin, au levé du lit de son ami.
C’est cette même Maria, peu confiante dans la capacité de Réal Lafourche, le flic local accro aux chaussures de luxe, qui contacte le Poulpe pour qu’il vienne enquêter.
Voilà pour le résumé concis du début. Pas la peine d’aller plus loin – si ce n’est peut-être pour savoir que l’on rencontrera aussi Cadoudal, un guérillero breton de soixante-seize ans qui vit avec une ourse frigide – car l’intrigue est secondaire.
Certes Luc Baranger assure en la matière le service minimum, nous éclaire sur le Québec, ce coin où « il ne se passe jamais rien » mais où la corruption politique règne, où la mafia italienne ne peine pas vraiment à s’implanter et où les gangs de motards tuent peut-être plus que les collisions routières avec des orignaux. Mais ce qui fait le sel de ce court roman, c’est le récit et, surtout, le langage, mélange d’argot parigot et de québécois imagés qui ne dépareraient pas dans un scénario d’Audiard. C’est que Luc Baranger est un orfèvre des mots, un ciseleur de métaphores et, on le savait moins, un joaillier de la note de bas de page.
Bref, voilà un livre jubilatoire qui, sous une apparence trompeuse de roman de gare, se révèle être en fait un véritable petit bijou.
Quelques petits extraits pour la route :
« Mais je te préviens, c’est un coriace. C’est plus facile de transvaser un jerrycan de nitroglycérine dans un égouttoir à salade que de lui serrer la pogne ».
« Une famille entière d’Amerloques lambda aurait pu pioncer côte à côte dans le pageot super king size sans que le gras du bide du fils aîné n’empiète sur les rondeurs cellulitiques des miches de sa mère ».
« Le type s’était vidé comme une machine à laver. Même un jour d’Aïd el-kébir la bête du Gévaudan n’aurait pas fait mieux ».
Luc Baranger, Maria Chape de Haine, Baleine, 2010.
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