Le loup dans la bergerie, de Gunnar Staalesen

Publié le par Yan

64736206.jpgJ’ai déjà dit ici combien je suis complètement passé à côté des auteurs nordiques. Après Leif Davidsen dont La photo de Lime se déroulait essentiellement en Espagne et les aventures australienne et thaïlandaise d’Harry Hole, le héros de Jo Nesbø, c’est finalement avec Gunnar Staalesen que je mets enfin les pieds en Norvège. Peut-être y aurais-je été avec un autre auteur si le festival du polar de Villeneuve-lez-Avignon n’avait pas convié Staalesen cette année parmi d’autres auteurs nordiques. Les conseils toujours avisés de Corinne de la Noirôde et une petite conversation avec l’auteur ont ensuite fait leur office.

Le loup dans la bergerie, est donc la première des enquêtes de Varg Veum, l’unique détective privé de la ville de Bergen. Ancien éducateur des services de l'enfance renvoyé pour avoir tabassé un dealer doublé d’un proxénète, Varg Veum est un homme seul qui regarde s’accumuler les factures en attendant un hypothétique client. Celui-ci finit par faire son apparition en la personne de William Moberg, avocat, qui lui demande de suivre sa femme dont il pense qu’elle le trompe. Veum, abattu par son propre divorce, refuse l’affaire. Pourtant, quelques jours plus tard, un homme se présentant comme le frère de l’épouse de Moberg l’engage. Il affirme avoir perdu de vue sa sœur depuis plusieurs années et vouloir la retrouver afin de pouvoir donner de ses nouvelles à son père mourant.  Bien que la coïncidence soit trop belle, Varg Veum accepte le boulot et met le doigt dans une machination qui fait de lui un chien dans un jeu de quilles… ou, peut-être, un loup dans la bergerie.

Dans ce premier volet écrit en 1977 et traduit pour la première fois en France en 1994, Staalesen prend le parti de s’inspirer directement des romans américains hard-boiled. Il revendique d’ailleurs cette filiation avec Chandler et Hammet. On retrouve donc un privé seul, un poil cynique, dans un bureau miteux, attendant l’affaire qui lui permettra de régler une partie de ses factures. Mais Gunnar Staalesen ne se contente pas d’une adaptation norvégienne de cet archétype. Il sait dépasser son modèle pour créer une œuvre singulière.

Sans nul doute attachant, doté d’une certaine arrogance qui cache mal le fait qu’il a la conviction d’avoir en partie raté sa vie et en porte le fardeau, Varg Veum pose aussi un regard désabusé sur la société norvégienne vue de la petite ville de Bergen qui, bien que décrite avec économie est a n’en pas douter l’autre personnage principal de ce roman auquel elle instille son atmosphère pesante : derrière les belles façades de ses maisons, cette ville cache quelques vilains secrets. On est loin du fameux « modèle nordique » proche de la société idéale, dont on nous bassine depuis des décennies.

Ajoutons à cela un style d’écriture sobre et élégant doublé d’un sens de l’humour fin et essentiel pour venir rehausser le ton de cette histoire somme toute classique (et d’autant plus intemporelle que Staalesen livre peu de détails permettant de dater cette histoire qui pourrait aussi bien se passer aujourd’hui qu’il y a trente ou quarante ans). Et nous avons là un polar qui donne vraiment chair à ses personnages et nous plonge dans une atmosphère en fin de compte bien plus originale que ce que peut laisser présager l’ouverture du roman calquée sur les modèles américains de l’auteur. Une réussite qui appelle le lecteur à découvrir les autres volets des enquêtes de Varg Veum.

Gunnar Staalesen, Le loup dans la bergerie, Édition du Rocher, 1994. Rééd. Gaïa Éditions, 2001. Rééd. Folio Policier, 2004. Traduit par Olivier Gouchet.

Publié dans Noir scandinave

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