La roue de la fortune : Trash Circus, de Joseph Incardona
Frédéric Haltier, la trentaine triomphante, est veuf, conduit une Porsche, fréquente les salles de remise en forme du Club Med’, carbure au Xanax et à la cocaïne, et est responsable pour Gazoil Production d’une émission de télé dans laquelle l’animateur vedette du PAF, Jean-Pierre Auriol, fait se confronter les parents de victimes de crimes atroces et les bourreaux de leurs enfants, frères, sœurs ou parents.
Accessoirement, Frédéric supporte aussi le PSG du côté des ultras, histoire de profiter des bastons d’avant et d’après match. Et puis, bien sûr, usant de son influence dans le milieu de la télévision, il passe son temps à baiser toutes les aspirantes à la célébrité, plus ou moins consentantes, qui passent à sa portée.
On pense bien entendu à American Psycho dès que l’on ouvre Trash Circus : même héros totalement amoral, mêmes références constantes aux marques de luxe, utilisation de slogans publicitaires, sexualité effrénée qui vire à la violence, double vie…
C’est dire si Joseph Incardona avance sur un terrain miné tant la comparaison avec Bret Easton Ellis est inévitable. Mais s’il s’avère vite qu’il ne joue pas exactement dans la même cour que l’américain, Incardona tire plutôt bien son épingle du jeu. Frédéric Haltier, version française de Patrick Bateman, n’œuvre pas comme son prédécesseur dans la finance – qui a singulièrement perdu de son attrait – mais dans ce lieu qui permet justement au citoyen lambda d’oublier qu’il n’est pas un golden boy en se repaissant des malheurs de gens plus mal lotis que lui.
Sans en faire un tueur en série Joseph Incardona réussit à peindre un héros particulièrement odieux et antipathique dont on observe avec une certaine délectation la violente fuite en avant qui ne saurait aboutir qu’à une chute toute aussi dure.
Monologue d’un winner formaté pour écraser la concurrence et les plus faibles, pour jouir de la violence et de la soumission, Trash Circus n’est pas le portrait au vitriol d’un arriviste à tendance sadique, mais d’une société déliquescente minée par l’individualisme et le désir de dominer l’autre. Le trait est grossi, certes, et les pensées nihilisto-capitalistiques du héros plus encore que la multiplication de scènes de sexe très crues pourront sans doute mettre quelques lecteurs mal à l’aise.
Il n’en demeure pas moins que cette terrible farce très noire (car c’est aussi ainsi que l’on peut, à mon avis, lire ce livre), sans être particulièrement originale, est plutôt saisissante, un instantané sans filtre de la France forte des années 2010, et, oui, une lecture agréable.
Joseph Incardona, Trash Circus, Parigramme, 2012.