La fête du cochon, de Leif GW Persson
La mode du polar nordique persistant, les éditions Rivages sont allées chercher quelques chevaux pour leur écurie. Bien entendu, quand on a déjà Sjöwall et Wahlöö dans la boutique, il convient de trouver autre chose qu’une rossinante si l’on veut pouvoir faire bonne figure au milieu d’une offre pléthorique.
C’est donc sur Leif GW Persson que Rivages a mis la main en éditant en 2009 Comme dans un rêve, enquête autour de l’assassinat d’Olof Palme (que nous n’avons pas encore eu l’occasion de lire). Depuis l’an dernier, l’éditeur s’est lancé dans la publication des premiers romans de Persson parus entre la fin des années 1970 et le début des années 1980.
La fête du cochon (1978) est donc le premier roman de Persson. Roman étrange et par bien des côtés déstabilisant à propos d’une enquête portant sur le braquage d’un bureau de poste à Stockholm. Déstabilisant parce que, sous l’apparence d’un classique roman de procédure suivant quasiment au jour le jour une enquête, ses fausses pistes, ses impasses, sa routine, Persson cherche à peindre en creux un portrait peu amène de la société suédoise et de ses services de sécurité et, du coup, nous livre un objet étrange qui ne ressemble finalement, pour peu que l’on creuse, ni a un procedural, ni a un roman noir, et projette le lecteur dans une espèce d’entre-deux parfois inconfortable.
D’autant plus que Persson se plaît aux retours en arrière inattendus ou aux digressions dont on peine parfois à saisir immédiatement l’intérêt (qui nous sautera aux yeux quelques chapitres plus loin… ou pas) et, surtout, toujours avec cette propension à l’entre-deux, à laisser le lecteur dans l’expectative quant à la réalité de ce qu’il lit. Car Leif GW Persson est un criminologue qui sait de quoi il parle et qui n’hésite pas à citer ses propres articles et essais dans les citations qui ouvrent les chapitres.
La fête du cochon vaut cependant le détour. Qui saura passer outre cette déstabilisante construction trouvera en effet dans ce roman un portrait au vitriol d’une société souvent raciste – à l’égard des étrangers mais aussi des ruraux – où le fait d’entrer dans la norme revêt une importance peut-être plus grande qu’ailleurs, aux services de police partagés entre incompétence et corruption et où la tentation totalitaire n’est jamais bien loin. Une société perturbée par la montée de la violence et qui peine à la comprendre et à la juguler.
Par ailleurs, Persson place au milieu de ce jeu de quille un personnage qui dévie de la norme. Lars Johansson cumule en effet les tares : issu d’une famille de paysans incultes, divorcé d’une femme qui l’a quitté pour un de ses supérieurs dans la police et, qui plus est, secrètement communiste. S’il reste effacé – bien qu’à travers son regard, Persson joue d’un humour cynique particulièrement fin à l’égard de la police en particulier et de la société suédoise en général – Johansson laisse présager du fait qu’il deviendra un personnage particulièrement intéressant à voir évoluer dans les romans suivants dont l’éditeur nous dit qu’il en sera un personnage récurent.
Atypique et déroutant, pas dénué de défauts mais aussi bien pourvu en qualités, La fête du cochon est une entrée un peu ardue dans le monde de Persson mais qui se révèle convaincante sur la longueur et donne à espérer d’une suite des plus intéressantes. Reste à savoir si, justement, cette suite viendra confirmer ce constat.
Leif GW Persson, La fête du cochon (Grisfesten, 1978), Rivages/Thriller, 2011. Traduit par Esther Sermage.