La chambre des morts, de Franck Thilliez

Publié le par Yan

         

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 Troisième lecture dans le cadre du Défi de l'Imaginaire.

Licenciés par leur entreprise, Vigo et Sylvain, ingénieurs informatiques, vandalisent ses locaux pendant la nuit. Sur le chemin du retour, grisé par ce coup de main réussi, encore chargé d’adrénaline, Vigo décide de faire un détour par un champ d’éoliennes afin de pousser un peu sa voiture, tous feux éteints, sur une longue ligne droite déserte. C’est là que survient l’accident. Les deux amis viennent de faucher un homme seul. Près du corps, une mallette contenant deux millions d’euros. Une véritable manne tombée du ciel alors que les difficultés financières s’accumulent pour Vigo comme pour Sylvain. Le cadavre est donc vite dissimulé et l’argent embarqué.

Sauf que rien n’est jamais simple : l’homme mort apportait une rançon aux ravisseurs de sa fille. L’enfant est assassinée et la pomme de la discorde solidement installée entre Vigo et Sylvain. Surtout, le meurtrier entend bien récupérer son argent et les enlèvements continuent.

Après la lecture de Monster, de Patrick Bauwen, et de Carnages, de Maxime Chattam, nous continuons donc dans le thriller  (rappelons que les auteurs de la Ligue de l’Imaginaire n’en écrivent pas tous et touchent aussi au polar historique, au polar ésotérique, à la fantasy ou encore à la science-fiction ou à la fable philosophique pour Bernard Werber).

À la différence de ces ouvrages de Bauwen et Chattam, le roman de Franck Thilliez se déroule en France, et plus particulièrement dans le Nord-Pas-de-Calais où il vit. Ce choix lui permet d’ancrer son histoire dans une réalité bien plus palpable pour le lecteur français, et que l’auteur lui-même connaît intimement. C’est ce qui permet de donner une véritable chair aux personnages, mais aussi au décor. Ce faisant, en mettant en avant le contexte social particulièrement dramatique de cette région, et en peignant une atmosphère glaciale et sombre (l’action se déroule en hiver, aux alentours de Noël), Thilliez crée une ambiance pesante. Certes la figure imposée du tueur en série truste une grande partie de l’intrigue, mais la fragilité des hommes et des femmes face à une société en crise crée une trame de fond assez solide.

Le choix des personnages principaux participe de ce mouvement. On aurait pu s’attendre à une de ces très classiques visions du Nord dans lesquelles les médias à sensation se complaisent : alcoolisme dans les milieux ouvriers et leurs corollaires que sont abus sexuels, inceste… Au lieu de cela, Thilliez nous confronte pour commencer à deux chômeurs qui sont des ingénieurs informatiques, a priori équilibrés, amateurs d’échecs. L’un est un père de famille attentionné, l’autre un célibataire issu d’une famille ouvrière d’origine polonaise qui a de toute évidence beaucoup misé sur l’école publique et a réussit à faire que ses enfants s’extraient de ce milieu (Vigo, donc, est ingénieur, et son frère travaille dans la police scientifique). Ce sont leurs choix, leurs états d’âmes ou leurs rêvent qui détermineront leur parcours dans ce roman et les feront basculer ou pas du côté du mal.

Le héros du roman coupe aussi en partie aux clichés. Thilliez nous épargne le classique flic alcoolique et viril. Lucie Henebelle n’a rien d’un superflic. Brigadière, mère célibataire, elle se consacre sans compter à son travail et apparaît comme un personnage équilibré intégré à une équipe qui n’a certes pas beaucoup de considération à son égard mais sait tout de même reconnaître ses mérites.

Du côté du méchant, les choses sont un peu plus compliquées et, sans trop en révéler, on peut dire que là encore, Thilliez cherche à sortir des sentiers battus en en confiant le rôle à une femme avec, toujours, le désir de nuancer le personnage. Si elle est clairement malfaisante, elle obéit toutefois en partie à une logique qui n’a pas complètement à voir avec ce « mal absolu » qui hante moult thriller.

Ces éléments posés, parlons de la narration. Nos deux lectures précédentes se sont, en la matière, révélées extrêmement décevantes. On retrouve dans La chambre des morts des défauts dont on va finir par penser qu’ils sont inhérents à une grande partie du thriller français, en particulier l’usage de métaphores et de comparaisons qui apparaissent souvent pesantes (« Il régnait dans l’antre de chlorophylle une atmosphère de film à carnage », p.28[1]) ou enrobées d’un lexique difficilement compréhensible mais qui laissent transparaître une connotation de littérature fantastique ou d’horreur (« Le pandémonium avait rouvert les portes de sa cité infernale », p.269). Elles s’avèrent souvent agaçantes et parasitent parfois la lecture mais demeurent ici supportables, parce qu’elles ne s’accumulent pas d’une part, et en raison par ailleurs du rythme haletant qu’instille Thilliez à son roman dans lequel il démontre de réelles aptitudes dans l’art du « page-turning », pour oser un néologisme barbare.

Quelle place toutefois, dans tout cela, pour l’Imaginaire ? Ancré dans une réalité sociale, économique, géographique par un auteur qui apparaît d’évidence soucieux  de véracité scientifique, le roman peut paraître – si ce n’est pas le simple fait qu’il s’agit d’une fiction – bien loin de cet Imaginaire revendiqué. Il est pourtant là, un peu partout, en filigrane, dans l’utilisation de peurs solidement ancrées dans l’imaginaire collectif  (loup, croquemitaine…) et d’une manière plutôt efficace puisque Thilliez, malgré les métaphores parfois lourdes évoquées plus haut, laisse une certaine latitude à l’imagination du lecteur en suggérant plus qu’en décrivant les scènes d’horreur.

On regrettera la règle trop établie dans ce genre de romans des multiples twists finaux qui n’apportent finalement pas grand-chose à l’histoire et qui, pour certains lecteurs, peuvent même gâcher en partie le plaisir de la lecture au même titre que de trop grosses ficelles utilisées dans certains thrillers pour faire avancer l’enquête.

La chambre des morts est toutefois un roman réussi dans l’ensemble. Thilliez montre qu’il n’est pas besoin de placer l’intrigue aux États-Unis pour faire un thriller efficace qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler les premiers romans de James Patterson dont Alex Cross est le héros. Un thriller honorable donc, qui aurait sans doute gagné à se terminer d’une manière plus classique mais qui s’avère être d’une lecture agréable.

Franck Thilliez, La chambre des morts, Le Passage, 2005. Rééd. Pocket, 2006.

 

[1] Les numéros des pages citées se réfèrent à l’édition Pocket.

Publié dans Défi de l'Imaginaire

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