La ballade du voleur au whisky, de Julian Rubinstein

Publié le par Yan

Rubinstein-Whisky-OkDurant les années 1990, alors que la Hongrie sort du communisme, un jeune transylvanien en exil décide de se lancer dans le hockey sur glace professionnel et, bientôt, dans le braquage de bureaux de postes, agences de voyages et banques. Pendant plusieurs années Attila Ambrus va faire tourner en bourrique la police de Budapest et se forger, sous le surnom de « voleur au whisky », une véritable réputation de Robin des bois de l’ancien bloc de l’Est. À la différence près que, contrairement au brigand médiéval, s’il a réussi à échapper au régime de Ceausescu et à entrer de plain-pied dans le libéralisme, ça n’est pas pour redistribuer son butin mais bien pour en profiter.  

Il fallait aller la chercher, cette drôle d’histoire de braqueur-looser dans la Hongrie post-soviétique, c’est certain. Surtout il fallait arriver à la rendre intelligible et suffisamment accrocheuse cette litanie de vingt-neuf braquages sans grande originalité et servis avant tout par la chance d’Ambrus et l’incompétence chronique de la police. Journaliste expérimenté et habitué des enquêtes au long cours, Julian Rubinstein y est arrivé avec brio.

En 400 pages qui nous entraînent des montagnes de Transylvanie aux prisons hongroises en passant par de calamiteux matches de hockey et des braquages foireux, Rubinstein dresse non seulement le portrait attachant d’un Attila Ambrus plus proche de Denis la Malice que de Mesrine, mais aussi celui d’un pays dont on ne sait pas très bien s’il se recompose ou se décompose et dans lequel le quotidien le plus cruel prend une teinte absurde :

« Au cours des cinq premiers moi de son mandat, le nouveau chef de la police de Budapest se fit voler sa voiture à deux reprises. Les taux de suicide et d’alcoolisme grimpaient en flèche. Parmi ceux qui se suicidèrent en 1993, figuraient douze des plusieurs milliers d’individus qui avaient été entraînés à leur perte dans une chaîne de Ponzi, en l’occurrence une entreprise d’élevage et de vente de teignes. »

Par ce ton loufoque avec lequel il mène une description pourtant minutieuse du contexte socio-économique et politique de l’époque, Julian Rubinstein donne à son roman une ampleur insoupçonnable de prime abord pour qui s’arrêterait à la quatrième de couverture. Car à travers l’histoire d’Attila Ambrus, c’est bien celle de la découverte du libéralisme par la Hongrie qu’il nous raconte là. Tout est affaire de décalage : entre l’époque communisme et celle du libéralisme sauvage, entre les aspirations de tout un chacun à la réussite et à la reconnaissance et la réalité d’un pays encore sclérosé et où la loi demeure celle du plus fort.

Cela donne au final un livre hilarant, bourré d’humour, de surprises, de scènes aussi loufoques que pathétiques avec un héros « bigger than life » qui aurait plus sa place dans un film des frères Coen que dans la vraie vie mais qui ne peut qu’éveiller la bienveillance chez le lecteur. C’est un roman éminemment rafraîchissant que cette Ballade du voleur au whisky.

Julian Rubinstein, La ballade du voleur au whisky (Ballad of the Whiskey Robber : A True Story of Bank Heists, Ice Hockey, Transylvanian Pelt Smuggling, Moonlight Detectives, and Broken Hearts, 2004), Sonatine, 2014. Traduit par Clément Baude.

Publié dans Noir américain

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