L’expatriée, d’Elsa Marpeau
Elsa, écrivain en mal d’inspiration, a suivi son mari, Alexandre, à Singapour. Là dans la chaleur moite et étouffante, elle passe son temps avec les autres expatriées de sa résidence autour de la piscine pendant que les maids philippines s’occupent des tâches domestiques et des enfants. Dans cette ambiance faussement indolente qui berce le panier de crabe des expatriés, arrive un jour Nessim, « l’Arabe blond » qui subjugue Elsa, devient son amant et est assassiné. Suspecte évidente, Elsa voit sa maid, Fely, voler à son secours. Mais rien n’est gratuit.
C’est un roman étonnant que cette Expatriée. Tout en langueur, apathie, comme extrait de souvenirs cotonneux, le récit d’Elsa happe le lecteur dans ce faux rythme, l’enferme avec elle dans cet univers clos et lui fait perdre ses repères.
Compte-rendu déroutant de ces quelques mois à Singapour fait d’aller-retour entre différentes époques du passé – avant Nessim, après sa mort, pendant la relation qu’entretient Elsa avec lui – et le présent, le roman d’Elsa Marpeau se fait tour à tour intrigant, curieux, inquiétant.
Huis-clos mettant en scène des personnages aussi superficiels qu’agaçants, dissimulant mal sous le fin vernis de quelques convenances leur égoïsme et leur propension à se réjouir du malheur des autres, L’expatriée glisse inexorablement du fait divers sordide sur fond d’adultère et de médisance au thriller psychologique tendu.
Peu à peu, par petites touches, par le jeu du mélange des différentes époques de l’histoire, Elsa Marpeau révèle les fêlures de son personnage principal, ses désirs aussi, parfois ambigus, qui en font le suspect idéal et l’évidente innocente. Habile jeu de faux-semblants où le sadisme des uns se repaît du masochisme des autres et où les petites haines peuvent se muer en grandes vengeances, L’expatriée est un roman qui crée le malaise moins par les situations mêmes (encore que la relation entre Elsa et Fely…) que par l’écriture même d’Elsa Marpeau qui réussit à exprimer par son rythme les sensations physiques de son héroïne comme son état moral, cet accablement par la chaleur, cet alanguissement qui pousse à une torpeur qui finit par confiner à la prostration.
On ne peut donc pas dire que l’on passe un « bon » moment avec L’expatriée, mais le moins que l’on puisse avancer est que l’on a là un roman singulier et prenant qui se révèle être une belle réussite.
Elsa Marpeau, L’expatriée, Gallimard, Série Noire, 2013.
du même auteur sur ce blog : Et ils oublieront la colère ;