Karma Girl, d’Érik Wietzel
Septième chronique dans le cadre du Défi de l'Imaginaire qui touche bientôt à sa fin.
Amute, 17 ans, vit dans une petite ville du Kentucky avec son père, sorte de post-hippie égoïste. Violée par son petit ami, ce n’est donc pas vers son paternel qu’elle se tourne mais vers Kristen, strip-teaseuse qui vient de la sortir de ce mauvais pas. Mais, bien vite, Amute s’aperçoit que des choses étranges se passent chez elle lors des soirées hebdomadaires de poker organisées par son père et qu’elles pourraient avoir un lien avec d’autres faits qui se déroulent autour du club de strip-tease où danse Kristen. Sans le savoir, Amute se trouve au centre d’une énorme machination.
Érik Wietzel, comme d’autres membres de la Ligue de l’Imaginaire et un nombre assez conséquent d’écrivains français, choisit donc de situer son roman aux États-Unis. Exercice périlleux s’il en est puisque, bien souvent, il ne fait que mettre en avant toute une série de clichés sur la vie en Amérique. Karma Girl n’échappe pas à cet écueil. Et le lecteur de se trouver projeté dans une Amérique fantasmée qui semble pour une bonne part inspirée de la série X-Files : scènes de meurtres étranges dans l’Amérique profonde, projets secrets menés par des savants fous avec l’aide d’officines gouvernementales fantômes… tout est là et, malheureusement, c’est seulement là que vient se loger l’imaginaire d’Érik Wietzel.
Par ailleurs, l’auteur, pour parler de ce qu’il ne connaît vraisemblablement pas très bien, ne se contente pas de téléporter son intrigue aux États-Unis. Il décide d’écrire son roman à la première personne en se mettant dans la peau d’Amute, l’héroïne en pleine crise d’adolescence. C’est peu dire que l’expérience n’est pas vraiment convaincante et qu’elle révèle, en filigrane, une drôle de conception de l’adolescence et des rapports hommes-femmes. Comme toute adolescente qui se respecte, Amute est donc à la fois rebelle, bourrée de haine de soi et tiraillée par ses hormones. Ses aventures lui permettront dans des scènes dignes des pires fictions érotiques télévisuelles de : se faire violer, avoir une aventure incestueuse avec son cousin, et de se faire abuser dans une partie fine après avoir été droguée. D’une manière générale, les hommes apparaissent ici soit comme des prédateurs soit comme des êtres timides et quasiment asexués, tandis que les filles, entre deux agressions sexuelles ou vagues désirs saphiques, se révèlent jouer au maximum de leurs charmes pour obtenir ce qu’elles veulent. Le tout ponctué de quelques envolés sur l’inégalité des sexes qui laissent pantois :
« Mon ventre me torturait encore un peu, du côté des ovaires mais c’était déjà mieux. Combien d’années j’allais encore devoir supporter ça ? L’égalité des sexes, ma tante en parlait souvent. Je lui avais dit plus d’une fois que la femme serait l’égal de l’homme quand elle cesserait de se plier en deux tous les vingt-huit jours. Je vais vous dire : moi, je crois que ce sont ces trois-quatre jours de souffrance mensuelle qui nous foutent dedans, depuis le début ; additionnés les uns aux autres, ça fait quelques semaines de misère par an pendant lesquelles les mecs continuent à se tripoter et à inventer des moyens de nous damer le pion. » [p.152]
Mais, en dehors de son aspect sociologique, Karma Girl reste avant tout un roman noir, puisque c’est ainsi que le présente l’éditeur en quatrième de couverture (« un ambitieux premier roman noir »[1]), et comporte donc, comme nous le soulignions en introduction une intrigue autour de mystérieux meurtres. Ici, il conviendra d’oublier toute cohérence. Embarquée dans un tourbillon d’aventures Amute se trouve baladée d’un lieu à l’autre, d’une situation à l’autre, sans que ni elle ni le lecteur n’arrive vraiment à saisir le fil directeur. Les scènes d’actions s’accumulent – sans forcément avoir de lien avec l’intrigue ; ainsi cette bagarre avec des skinheads dans un bar qui ne semble être là que pour montrer que l’héroïne a un terrible sens de la répartie et que le racisme c’est mal –au fil de la plume de l’auteur qui a l’air de se soucier assez peu, donc, de cohérence. Amute rentre chez elle et tombe nez à nez avec le shérif qui vient de tuer son père ? Elle s’enfuit (pendant que le shérif glisse et meurt d’une hémorragie en passant son bras à travers une vitre) puis se réfugie chez son amie strip-teaseuse qui l’accueille et l’incite à dormir un bon coup pendant qu’elle fume un joint en mangeant des crackers avec son compagnon. Amute est kidnappée à New York et droguée par une femme qui la livre ensuite à des hommes pour une longue partie fine ? Pas grave, elle se lie tout de même avec celle qui l’a droguée – et qui disparaitra comme elle est apparue – avant d’être à nouveau séquestrée et qu’une de ses amies mexicaine (avec une fâcheuse tendance à s’exclamer « Madre de Dios ! » à tout bout de champ) ne vienne la libérer en lui révélant qu’elle fait partie d’un commando top secret de la NSA. Bref, c’est totalement échevelé, incompréhensible, sans aucune logique et aussi crédible que ce pays imaginaire (les États-Unis vus par un auteur français au travers du cinéma fantastique et des intégrales d’Alias et des X-Files) dans lequel se déroule l’action.
Si le fond, donc, est à tout le moins désorganisé et même dénué de toute logique, la forme est à l’avenant. Il est particulièrement laborieux de subir pendant plus de 200 pages le langage pseudo-adolescent d’Amute, aussi involontairement amusant soit-il :
« -Alors ça, c’est un peu fort, a fait Kristen, assez prout il faut bien l’avouer. » [p. 50]
« Il y a eu un mouvement autour de la table, le balaise a soulevé Eudora, une tâche imbranlable pour un crétin pareil » [p. 85]
Langage adolescent qui fait par ailleurs la part belle aux métaphores et comparaisons les plus… originales ?
« Je me suis lavée mais l’eau qui tombait de la poire ne parvenait pas à remplir l’énorme vide qui béait en moi, et s’élargissait à la vitesse d’un trou noir en rotation rapide. » [p. 122]
« Quand je suis revenue à moi, les question ont fusé, balles traçantes qui laissent après elles un sillage de feu, dans la nuit de tout ça. » [p. 215]
Bref, on l’aura compris, c’est un drôle de roman noir qu’a écrit là Érik Wietzel. L’imaginaire est bien là, certes, mais, une fois encore, plus qu’un effort d’imagination de l’auteur il s’agit d’une resucée de motifs déjà croisés dans le cinéma, les séries télévisées ou les jeux vidéos qui sont ici collés les uns aux autres. C’est peu dire que Karma Girl est un roman raté. Car même son comique sans doute involontaire finit par lasser et a tôt fait de devenir un véritable instrument de torture pour le lecteur attendant à la fois une écriture fluide – le choix de la première personne utilisant un pseudo-langage adolescent est particulièrement handicapant – et une intrigue solide et logique. Car l’imaginaire n’exonère pas de la cohérence de l’intrigue.
Érik Wietzel, Karma Girl, Éditions Hors Commerce, 2000.
[1] Premier roman noir, mais pas premier roman – ce qui pourrait valoir une certaine indulgence – puisqu’il « est remarqué grâce à un excellent premier roman, La Porte des Limbes » (blog Calibre 35) qui date de 1997 et qui est un roman de fantasy.