Jakie Quartz’ spirit : Juste une mise au point
Célébrons un peu l’esprit de Noël. Ceux d’entre vous qui ont eu la saine idée de ne pas s’inscrire sur Facebook ont peut-être échappé en grande partie aux débats qui y agitent depuis quelques semaines le landerneau polardeux. Comme souvent sur les réseaux sociaux, le point de départ est relativement insignifiant. Comme souvent aussi, le débat a profité de la capacité de résonnance dudit réseau pour prendre des proportions assez importantes. D’abord amusant, il est devenu ensuite assommant, puis inquiétant avant de tourner récemment à la psychose et de se faire malsain.
Résumons. Sur le modèle de nombreux défis de lectures sur internet s’est formé, il y a quelques mois, le Défi de l’Imaginaire consistant pour les participants à lire puis à chroniquer sur un blog dédié un livre de chacun des dix auteurs de la Ligue de l’Imaginaire. Je ne reviendrai pas sur les motivations de ce défi ni sur les explications à propos de la Ligue de l’Imaginaire et vous renvoie donc, pour plus de renseignements, à l’article concernant ma première chronique dans le cadre que vous trouverez ici et, bien entendu, sur le site du Défi où vous trouverez des informations sur le Défi lui-même et sur les participants.
Ceux qui ont choisi de se lancer dans ce défi, à commencer par moi, se doutaient bien qu’il ne plairait pas à tous le monde. Ils étaient loin d’imaginer à quel point (ils n’avaient sans doute pas assez confiance dans la force de l’Imaginaire).
Pour résumer : certains auteurs ont pris ombrage des premières critiques (argumentées point par point) négatives et y ont vu une entreprise de démolissage. Ils ont appelé l’attention de leurs fans présents sur Facebook. Cela a donné lieu à une mobilisation d’une intensité jamais vue depuis le tsunami de 2004 en Asie du Sud-Est.
On a ainsi vu s’instaurer sur le groupe L’Instant Polar un long et même très long (plus de 300 commentaires en deux ou trois jours) dialogue de sourds entre certains participants aux Défi et certains auteurs et leurs fans. Puis, doucement, cela a débordé. Il y avait déjà eu lors de ce débat quelques noms d’oiseaux et menaces physiques envers les blogueurs iconoclastes et leurs alliés. Puis certains blogueurs extérieurs au Défi ont reçu un message leur expliquant que le Défi en question était une attaque inique contre les auteurs de la Ligue de l’Imaginaire et les invitant à faire un saut sur le blog du Défi pour s’en faire une idée. Message un petit peu orienté puisqu’il explique que ce Défi est le fait d’intégristes du polar.
Hasard du calendrier ? Le 19 décembre le forum Pol’art noir qui a le malheur d’accueillir –entre autres – des participants au Défi (dont un nommément désigné dans le message évoqué ci-dessus envoyés à certains blogueurs) est piraté et en partie détruit. Depuis, certains membres du Défi reçoivent des messages anonymes de menaces. Si la piste des orphelins de Kim Jong-il n’est pas écartée (pas plus d’ailleurs que celle d’un regain de vigueur d’un ou plusieurs nostalgiques de la joyeuse époque du Maréchal), vous avouerez qu’il y a de quoi se poser des questions et être conforté dans sa misanthropie.
Plus que ça, finalement, qui s’avère affligeant, bas et mesquin mais qui relève plus de la psychiatrie que de l’exercice de l’esprit critique, c’est la tâche d’huile que font ces événements qui me fait m’interroger moi-même sur ma pratique de la critique.
En effet, à la suite des débats facebookiens ou de certains articles de blogueurs, je vois fleurir un peu partout sur Facebook des arguments et des professions de foi qui n’en finissent pas de me laisser dubitatif.
Les arguments d’abord. Ils sont assez basiques.
Les gens qui écrivent des critiques négatives sont des écrivains ratés motivés par la jalousie du succès des membres de la Ligue de l’Imaginaire. Deux écrivains (peut-être ratés, allez savoir, du moins si l’ont s’attarde seulement sur les chiffres de vente) participent au Défi… sur un total de neuf participants. L’argument a donc tôt fait de s’écrouler.
Vient alors le deuxième argument imparable : on ne peut pas critiquer négativement un livre si on n’en a pas écrit un soi-même. Je me contente de remarquer que le diplôme d’écrivain patenté n’est pas exigé pour écrire une critique positive et que, par extension, on peut aussi expliquer de la même manière que l’on ne peut pas dire que son boulanger fait un pain trop cuit si l’on n’a soi-même jamais fait de pain.
Autre argument de poids : critiquer négativement un roman c’est insulter l’auteur et –surtout – ses lecteurs. Comme je suis très méchant, je ricane. Parce que moi aussi je lis et apprécie des romans ou des films que certains – moi compris parfois – considèrent comme médiocres. Je prends plaisir à lire les thrillers de Jonathan Kellerman. Je sais qu’ils sont écrits à la chaîne, dotés d’une écriture fadasse, sans grande originalité, bourrés de ficelles que l’on voit à trois kilomètres… mais ils me détendent et je m’en contente. Que l’on vienne me le dire ne me fait pas forcément me sentir agressé. J’estime que Tim Dorsey est un génie incompris. Certains viennent me dire que c’est un type qui écrit mal des romans foutraques. J’en discute avec eux, avance mes arguments pendant qu’ils avancent les leurs et on arrive à en sortir bons copains, sans que j’ai l’impression que l’on m’a pris pour un abruti.
Enfin arrive l’argument massue : c’est un projet monté par des « polardeux » contre le thriller. Comme je suis décidément très méchant, je ricane un peu plus. J’aime le roman noir. C’est, dira-t-on, mon genre de prédilection. J’aime aussi le thriller. Il m’arrive de critiquer négativement un polar ou un roman noir (ce fut le cas il y peu de Punch Créole, d’Elmore Leonard ou de La dame, de Richard Stark). Je fais aussi parfois de bonnes critiques de thrillers (Les marécages, de Joe Lansdale ou, récemment dans le cadre du Défi, La chambre des morts de Franck Thilliez). Et je crois que c’est le cas de l’ensemble des participants au Défi.
Passons maintenant aux professions de foi. Nombre de blogueurs s’insurgent à mots plus ou moins voilés contre le Défi en expliquant qu’il ne faudrait critiquer que ce que l’on aime.
Je respecte tout à fait ce choix. Je comprends que l’on ne veuille pas créer de conflit. Mais je crois aussi que le fait de sous-entendre que ceux qui ont choisi de faire aussi des critiques négatives ont basculé du côté obscur, c’est aller un peu vite en besogne.
Comme tout blogueur, je reçois certains services de presse. Dois-je, pour préserver cette manne, refuser d’en faire une critique négative ? Je me suis bien entendu posé la question. Et j’ai choisi de critiquer tout ce que je lirai. En bien ou en mal. Que je l’ai acheté ou que je l’ai reçu de l’éditeur. Libre ensuite à l’éditeur mécontent de cesser de m’envoyer ses livres. Je prends d’ailleurs la précaution, lorsqu’un éditeur me propose des services de presse, de le lui expliquer. Je m’aperçois à l’usage que c’est une pratique relativement bien acceptée et que, même, cela peu créer un dialogue intéressant avec certains auteurs qui estiment qu’il y du positif à tirer d’une critique négative.
Bien sûr, la question des services de presse est généralement éludée et l’on met plutôt en avant d’autres principes, plus moraux.
Pourquoi perdre du temps à critiquer des livres que l’on n’a pas aimé ? Parce qu’on les a lus. Tout simplement. Je suis d’un naturel curieux. J’ai plutôt tendance à me diriger vers des livres qui sont plus susceptibles de me plaire, bien entendu, mais j’aime aussi à faire des découvertes et à me forcer à lire des livres qui, a priori, ne m’attirent pas, dans l’espoir de faire une rencontre intéressante. Parfois ces espoirs sont déçus. Parfois pas. Je suis heureux d’avoir découvert ainsi Thierry Marignac (que je n’avais pas envie de lire après certains messages de sa part), Eric Miles Williamson ou, donc, Franck Thilliez.
Le problème de la critique uniquement positive, à mon sens, c’est qu’elle entraîne un nivellement qui ne sert pas la littérature. En fin de compte, on en arrive à croire que tout se vaut. Que n’importe quel auteur qui débarque fait jeu égal avec Donald Westlake, Dashiell Hammet et Paco Taïbo, qu’il y a au moins 365 polars formidables, excellents ou révolutionnaires qui sortent tous les ans.
C’est tout simplement faux. Il y a tous les ans pas mal de bons romans qui sortent. Beaucoup de mauvais aussi. Et relativement peu qui touchent à l’excellence. Il n’est certes pas interdit de s’enthousiasmer pour un jeune auteur, et il est salutaire de le faire quand on fonde de grands espoirs sur sa production prochaine. Mais doit-on pour autant nier les faiblesses de son roman s’il y en a (et il y en a souvent) ? Doit-on aussi automatiquement aimer le nouveau roman de celui dont on avait aimé l’ouvrage précédent ? Je n’en suis pas sûr non plus.
J’ai créé ce blog pour partager mes impressions de lectures. Mes coups de cœurs mais aussi mes déceptions. Pour dialoguer, en bonne intelligence et respectueusement. C’est aussi comme cela que j’aborde le Défi. Je ne l’ai pas fait pour décrocher un prix de bonne camaraderie ou pour me faire des amis chez les auteurs. J’aime discuter de leurs livres avec les auteurs et aussi d’autres choses parfois. Mais, lorsque je lis un roman, c’est le roman qui m’intéresse et pas l’auteur. C’est ainsi.
Voilà un billet bien long mais qu’il me fallait écrire. Parce que les débats sans fin et surtout sans fond actuels m’irritent et parce que je trouve qu’il est bon de mettre parfois les choses au clair. Vous qui lisez ce blog savez maintenant dans quel état d’esprit il est rédigé. Je n’estime pas détenir la vérité et je pense que la plupart de mes visiteurs ont tout à fait conscience de ce que je n’exprime que mon avis.
Je n’ai pas non plus envie de m’abaisser au classique « Les goûts et les couleurs… ». Parce que je crois que l’on peut avoir des goûts merdiques. La preuve, c’est que j’en ai moi-même (j’adore les films de Terence Hill et Bud Spencer). Parce que tout ne se vaut pas. Parce qu’un repas chez Mc Do, ne vaut pas un repas chez El Bulli. Même si l’on n’aime pas la cuisine moléculaire et que l’on adore manger un big mac, il faut bien en convenir.
Sur ce, je vous souhaite tout de même un Joyeux Noël et vous rappelle que, au fond, tout ceci n’est que littérature.
Yan