Filles, de Frederick Busch
Jack, ancien policier militaire devenu chef de la sécurité d’une petite université privée du nord de l’État de New-York, accepte, parce que cet événement fait écho à son propre drame d’enquêter sur la disparition de Janice Tanner. Alors que l’hiver devient de plus en plus rude et que d’autres filles disparaissent, Jack s’enfonce dans la déprime, la culpabilité et les vaines tentatives pour effacer de sa mémoire la mort de sa fille.
Roman à l’atmosphère glaciale et hypnotique, Filles oscille entre le polar et le drame psychologique avec un talent égal bien que l’enquête sur la disparition de Janice Tanner soit avant tout le prétexte au dévoilement des blessures intimes de Jack et de sa femme, Fanny. Couple brisé par la mort de leur bébé et par le voile qu’ils ont jeté sur ce décès dont ils refusent de se rappeler les circonstances et dont ils ne savent plus s’il a été provoqué par la négligence, l’emportement de l’un ou de l’autre d’entre eux ou simplement par la fatalité.
En enquêtant, Jack ne cherche point le rachat, ce qui serait trop facile, mais une manière d’exutoire à sa frustration et à sa peine, au délitement inexorable de son couple, et sans doute aussi à se punir un peu. Tout ici se fait écho : la disparition de Janice Tanner fait donc écho à celle du bébé de Jack et Fanny, l’hiver glacial et interminable aux cœurs définitivement gelés de Jack et Fanny, le travail de protection des étudiants à l’incapacité de Jack à protéger sa propre famille et à sauver son couple.
Roman du désespoir et de l’absence, Filles n’est pas un livre qui réconforte le lecteur. Frederick Busch y parle de l’amour, certes, mais surtout de la souffrance qu’il entraîne en disparaissant, et nous montre à travers Jack et Fanny comment la gangue de douleur créée par l’absence, le soupçon et la culpabilité rend les hommes durs et éveillent en eux ce qu’ils peuvent avoir de mauvais, la tentation de faire souffrir l’autre pour ne pas être seul à avoir mal. Quelques lueurs d’espoirs existent et brillent parfois au fil du roman, mais Frederick Busch a tôt fait de les voiler elles-aussi et démontre une grande capacité à mettre mal à l’aise et à bouleverser le lecteur. Âpre mais généreux à sa manière, Filles mérite sans nul doute la bonne réputation qui est la sienne et l’on ne peut que se réjouir qu’il soit aujourd’hui disponible en poche.
Frederick Busch, Filles (Girls, 1997), Gallimard, 2000. Rééd. Folio Policiers, 2013. Traduit par Nadia Akrouf.