Derniers coups de feu dans le Ticinese, de Piero Colaprico
Deuxième volet de la « Trilogie de la ville de M. », Derniers coups de feu dans le Ticinese nous conte le retour à Milan, après plus de 20 ans de prison aux États-Unis, d’Augusto Aldrovandi, dit El Tris. Vieux caïd du quartier du Ticinese, El Tris, aujourd’hui septuagénaire, entend bien assouvir deux vengeances. Contre l’avocat qui l’a trahi. Contre celui ou ceux qui ont tué sa femme et son fils pendant qu’il était emprisonné.
Piero Colaprico reprend ici un motif classique du roman ou du cinéma policier : le retour du caïd sur ses terres et la confrontation au changement. Un retour généralement suivi d’une sévère reprise en main et propice à la comparaison de deux époques, l’ancienne étant bien entendu sublimée tandis que l’actuelle est considérée comme déviante, dégénérescente. Sauf que Colaprico n’entend pas entrer dans ce moule industriel.
Car Colaprico est ici l’écrivain du paradoxe. En effet, comme le constate amèrement El Tris, tout a changé. Mais, nous dit Piero Colaprico, rien n’a changé. Une immigration qui fourni des hommes de main en a remplacé une autre, un trafic à pris la place d’un autre, mais, au fond, les nouveaux truands n’ont rien à envier aux anciens en matière de traîtrise, de narcissisme ou de sadisme. Et, en fin de compte, El Tris, si ce n’est par son âge, ne dépareille pas dans le cadre lorsqu’il revient. Un paradoxe qui n’en est donc pas un et qui incite à citer Paul Valéry : « Le paradoxe, c’est le nom que les imbéciles donnent à la vérité ».
Le véritable paradoxe se situe en fait dans la narration. Alors que l’action se déroule au cours d’une nuit, le temps d’étaler pour le compte au moins cinq personnes, d’en torturer une ou deux et, pour l’inspecteur Bagni, que l’on retrouve après La dent du narval, d’annuler un dîner, d’interroger un truand et d’en identifier un autre, le tout en moins de 200 pages, l’histoire prend son temps. Tout, ici, semble se dérouler avec une certaine indolence. Bagni avance à son rythme, préoccupé par ses affaires de cœur, passionné par l’histoire du milieu milanais qu’il voit prendre chair sous ses yeux… tellement que l’on sait par avance qu’il finira par arriver trop tard.
Une fois encore, Piero Colaprico nous concocte un beau roman d’ambiance, un portrait bien brossé d’une ville qui change mais évolue finalement peu, une chronique douce amère où se mêlent une pointe d’optimisme et une lame de fond de désespoir.
Piero Colaprico, Derniers coups de feu dans le Ticinese (Ultimo sparo al Ticinese, 2004), Rivages/Noir, 2009. Traduit par Gérard Lecas.
Du même auteur sur ce blog : La dent du narval ; La mallette de l'usurier.