Classique et original : La rivière de sang, de Jim Tenuto
« J’ai pris, ou aidé d’autres pêcheurs à prendre, des milliers de poissons. Pas un seul d’entre eux ne m’a communiqué la moindre pensée. Lorsque le mammifère doué du cortex cérébral le plus développé consacre autant d’encre et de papier à la capture d’une créature dotée d’une des plus minuscules cervelles de la nature, ça en dit plus long sur lui que sur elle ».
Et Dahlgren Wallace n’a pas fini d’en apprendre sur ses congénères. Cet ancien sportif vétéran de la guerre du Golfe reconverti en guide de pêche pour le compte d’un riche rancher du Montana est en effet confronté à un problème de taille : on vient d’assassiner un des invités de son patron pendant qu’il l’accompagnait à la pêche. Il y a là, on en conviendra, de quoi ternir la réputation de Dahlgren. C’est d’ailleurs lui qui est suspecté en premier avant d’être innocenté.
Pas du genre à s’en faire outre mesure, le guide de pêche voudrait bien reprendre le cours de sa vie normale mais tout le monde semble s’être donné le mot pour lui pourrir la vie, du FBI aux écoterroristes, en passant par les milices néo-nazies du coin, le minuscule mais ambitieux rancher voisin et même l’Église mormone. C’est donc contre son gré et avec une collection de points de suture qui ne cesse de croître, que Dahlgren va se trouver embringué dans une enquête des plus tordues.
J’étais complètement passé à côté de Jim Tenuto. On me l’avait conseillé, mais j’avais bêtement confondu avec William Tapply. Un mal pour un bien puisque j’ai passé de merveilleux moment de lecture avec Stoney Calhoun. Quoi qu’il en soit, j’ai fini par tomber par hasard sur Tenuto au détour d’un rayon de librairie, dans la collection Totem de Gallmeister (dont je signale au passage qu’elle est aussi belle et de bonne qualité que la collection grand format).
En choisissant pour son premier roman un personnage principal archétypal du polar – le type costaud, bourré d’humour et qui s’en prend plein la gueule avec philosophie et se trouve impliqué dans une affaire qui le dépasse au départ – Jim Tenuto a pris le risque de se trouver comparé d’entrée de jeu à des maîtres de ce type de littérature, à commencer par James Crumley qui situe lui aussi une partie de ses romans dans le Montana. La réussite de La rivière de sang, n’en est que plus éclatante. Certes le thème est des plus classiques, tout comme l’intrigue, mais, en fin de compte, Tenuto campe un personnage principal plus complexe qu’il n’y parait et dresse autour de lui une originale galerie de portraits. Le tout dans les paysages grandioses du Montana et avec des descriptions qui vous convaincraient presque de vous mettre à la pêche à la mouche.
Une lecture agréable donc pour un livre particulièrement abouti. On espère juste que ce Jim Tenuto n’a pas tout donné dans ce roman et qu’il reviendra vite avec un nouveau bouquin.
Jim Tenuto, La rivière de sang, Gallmeister, 2006. Rééd. Gallmeister, Totem, 2010. Traduit par Jacques Mailhos.