Ciseaux, de Stéphane Michaka

Publié le par Yan

ciseaux-michakaAprès La fille de Carnegie puis son roman pour la série Polar et Rock’n’roll, Elvis sur Seine, Stéphane Michaka quitte le roman noir pour une œuvre moins aisément définissable, plus introspective aussi.

Roman sur la création et la relation entre l’écrivain et son éditeur mais aussi roman d’amour, Ciseaux met en scène, à peine dissimulés sous un fin vernis fictionnel, l’écrivain Raymond Carver, les deux femmes de sa vie, et son éditeur, Gordon Lish ; celui qui lui a apporté le succès en coupant ses nouvelles contre sa volonté.

Ça commence donc comme un livre non pas sur les affres de la création, puisque Raymond apparaît vite comme un écrivain assez prolifique, mais sur la relation à la fois étroite et tendue qui lie l’auteur à son éditeur. Un éditeur qui, ici, en vient à prendre tant de place dans le processus même de la création à grands coups de ses ciseaux qui réduisent le texte à la portion congrue tout en le sublimant, que, en fin de compte, il en devient le créateur au même titre que l’auteur. Cette relation ambigüe entre amitié, quête de reconnaissance, admiration et haine recluse forme un treillis passionnant et cet étrange affrontement à distance, à coup de plume, de mots faussement innocents et, bien entendu, de ciseaux, crée une certaine tension, un certain suspens.

Parallèlement, Stéphane Michaka tire un autre fil, celui de la relation entre Raymond et Marianne. Alors que Raymond, dans son face à face avec son éditeur, tend à apparaître comme une victime, Michaka vient montrer une autre facette de l’écrivain. Au sein de sa famille, avec ses enfants qui n’apparaissent jamais vraiment et semblent des fantômes – sortes d’esprits frappeurs de portefeuille – et avec la femme qui a tout sacrifié pour lui, abandonnant toute ambition et ravalant sa fierté, Raymond révèle toute l’étendue de son égoïsme. Son départ avec une autre femme, tout aussi amoureuse de lui mais qui fait aussi plus valoir son indépendance ne fait que mettre encore en relief le sacrifice de Marianne qui, au bout du compte, devient quasiment la véritable héroïne de la seconde partie du roman.

Sans pathos mais sans pour autant prendre le parti d’une description par trop clinique des turpitudes du processus d’écriture et d’édition, Stéphane Michaka réussit à rendre chacun de ses personnages, à sa manière, attachant et complexe (ou attachant parce que complexe) et l’on sent la patte de l’auteur de théâtre derrière cette pièce aussi fascinante par ce qu’elle dit que par ce qu’elle tait, jusqu’à l’ultime question : les œuvres originales, non coupées par Douglas/Gordon Lish, auront-elles la même force ? Et, subséquemment, d’autres questions se posent : Raymond aurait-il pu percer sans lui ? Aime-t-on Carver pour ce qu’il a écrit ou pour ce que Lish a coupé ? Tout cela valait-il tant de sacrifices ?

Hommage subtil et sans concession à un écrivain de génie, Ciseaux est sans aucun doute le roman le plus abouti de Stéphane Michaka,  et celui dans lequel, comme écrivain et comme admirateur de Carver, il a mis le plus de lui-même. Un roman fascinant.

Stéphane Michaka, Ciseaux, Fayard, 2012.

Du même auteur sur ce blog : La fille de Carnegie ; Elvis sur Seine.

Publié dans Littérature "blanche"

Commenter cet article