Chamamé, de Leonardo Oyola
Manuel Ovejero, dit Perro, et le pasteur Noé écument les routes du Litoral, province argentine coincée entre Paraguay, Brésil et Uruguay. Pirates de la route ultraviolents, Perro et Noé sont liés par un code d’honneur des bandits dont ils attendent la première occasion pour le bafouer. C’est Noé, le pasteur illuminé, qui saisit le premier l’occasion en filant avec leur dernier butin. Dès lors, Perro, le pilote surdoué, le roi de la route, n’a qu’un objectif : le retrouver en suivant sa piste semée de cadavres et se venger.
On ne peut aborder qu’avec circonspection le roman d’un auteur qui place en exergue de son ouvrage une citation extraite de Young Guns II et en ouverture de chacun de ses chapitres un extrait de chanson de Bon Jovi, avant de parsemer le livre d’allusions à Guns N’ Roses… Cela étant, ce mauvais goût (ne nous voilons pas la face) parfaitement assumé n’est pas qu’un simple accessoire. On aurait en effet pu craindre que, alors que depuis quelques années les romans « décalés », « tarantinesques », plus ou moins réussis (du Livre sans nom au plus récent et bien plus réjouissant Gokan, pour n’en citer que deux) fleurissent, Chamamé n’en soit qu’un de plus, dissimulant derrière quelques références rock et séries Z, un vide aussi abyssal que les paroles d’une chanson de Corona.
Bien sûr, une partie des références musicales, télévisuelles ou cinématographiques qui émaillent le récit de Leonardo Oyola sert au décorum de l’ensemble et à créer une connivence avec le lecteur. Toutefois, ce jeu de références sert aussi et surtout à caractériser des personnages qui ne vivent leur vie qu’à travers le prisme de cette sous-culture qui vient ici se mêler aux croyances et légendes guaranis et à un christianisme mâtiné de paganisme incarné par le très haut en couleur pasteur Noé qui entend la voix du Christ dans toutes les paroles – aussi hermétiques et mauvaises soient-elles – des chansons qui arrivent à ses oreilles.
Il en ressort une atmosphère électrique et débridée dont le caractère frénétique est accentué par les allers-retours, d’un chapitre à l’autre, entre les deux personnages principaux mais aussi entre le présent et différentes périodes de leur passé.
Sous un aspect à tout le moins éclaté Oyola sait garder une cohérence (faute d’une logique !) dans son récit et mener ce road-movie halluciné jusqu’à destination, parsemant son intrigue de scènes d’actions aussi épiques qu’extravagantes.
Sans doute peut-on regretter le manque d’épaisseur de ses personnages qui ne semblent exister qu’au travers de leurs références culturelles (dont on a dit ce que l’on en pensait un peu plus haut). Peut-être aussi cette sensation vient-elle du fait que si Oyola cherche à ancrer les personnages en question dans une certaine réalité (particulièrement appuyée par les notes et citations sur les chansons, séries télévisées, films ou dessins animés japonais, et même la playlist caractéristique des éditions Asphalte), on peine à savoir si l’on voyage à leurs côtés dans un Litoral réel, fantasmé ou purement imaginaire.
Reste qu’au final, Chamamé se révèle assez amusant, voire réjouissant parfois ; un roman outrancier que ses qualités, sans gommer totalement ses défauts, rendent plutôt attachant.
Leonardo Oyola, Chamamé (Chamamé, 2007), Asphalte, 2012. Traduit par Olivier Hamilton.