Casher Nostra, de Karim Madani
Maxime habite Hannouka, le quartier juif d’Arkestra, avec sa mère atteinte d’alzheimer, et tente de survivre avec un boulot de livreur. Adepte de bonne herbe – le seul remède qui l’aide à calmer ses crises de spasmophilie – il va régulièrement acheter sa ganja dans les Tours Organiques, véritable coupe-gorge accueillant le fond du panier du lumpenproletariat d’Arkestra, et le moins que l’on puisse dire, c’est que cela lui pèse.
Et puis un jour vient la lumière. Son médecin apprend à Maxime que, malgré la prohibition, sa spasmophilie l’autorise à recevoir chaque semaine vingt grammes de marijuana pour usage thérapeutique. Et avec ça, l’idée. Le moyen de peut-être pouvoir quitter enfin Arkestra et d’éviter le placement d’office de sa mère par les services sociaux. Un trafic d’herbe qui pourrait le mener bien plus loin qu’il ne le désire.
Le jour du fléau, précédent roman de Karim Madani mettant en scène la vie à Arkestra traîne depuis quelques années dans ma bibliothèque mais c’est finalement avec Casher Nostra que je rentre dans cet univers qui n’est ni vraiment le nôtre ni vraiment un autre, ni de demain ni d’aujourd’hui. C’est en effet d’abord ça qui impressionne chez Madani, la manière dont il crée entièrement Arkestra en prenant le pire de notre société pour en faire un monde crédible avec une géographie qui apparaît totalement réfléchie (on imagine d’ailleurs que l’on n’aperçoit qu’une infime partie de ce que l’auteur a pu créer pour donner une telle assise à son (ses) roman(s)).
L’histoire, quant à elle, se veut on ne peut plus classique. C’est celle du loser qui trouve un bon plan et fini par s’imaginer bien plus fort et malin qu’il ne l’est vraiment, celle du fils qui pense ne pas vouloir ressembler à son père mais va tout faire pour l’imiter et, surtout, le dépasser. C’est aussi une belle histoire d’amour filial dans un monde pourri jusqu’à la moelle. De ce récit dont le rythme va crescendo jusqu’au sprint final, Karim Madani fait émerger une singulière galerie de portraits amochés par le monde dans lequel ils évoluent et qu’il teinte d’un gris plus ou moins clair, ne désirant en faire ni des anges ni des démons. Ainsi Maxime apparaît-il tour à tour dévoué et égoïste, attendrissant et détestable, tout comme Alex, le personnage de vigile raciste, bas du front, finit par acquérir une humanité touchante. Il y a enfin les fugaces mais lumineuses apparitions de Skit, mystérieuse graffeuse de talent peignant la geste des habitants mort de Hannouka.
Le tout est porté par une langue travaillée pour coller au mieux au fond free jazz que Karim Madani, en le plaçant sous le patronage de Sun Ra, donne à son roman. Longues énumérations coupées par de brutales ruptures de rythme, fugaces envolées ou mélodies des assonances et allitérations sont là pour donner cette couleur originale à Casher Nostra ; parfois jusqu’à l’écœurement, d’ailleurs, avec des moments peut-être un peu trop forcés qui font passer parfois cette écriture de séduisante à légèrement agaçante.
À cette réserve près (et une autre quand même sur le dénouement un peu tiré par les cheveux des embrouilles de Maxime avec un gros dealer), Casher Nostra se révèle être un roman foncièrement original et attachant ; un très bon livre.
Karim Madani, Casher Nostra, Seuil Roman Noir, 2013.
Du même auteur sur ce blog : Blood Sample ;