Bombe X, de Ludo Sterman
Pas encore remis de l’affaire Novella sur laquelle il a précédemment enquêté (dans Dernier shoot pour l’enfer), Julian Milner se trouve entraîné dans une autre enquête autour du sport business, dans le milieu cycliste cette fois. Une affaire dans laquelle il est d’autant plus impliqué qu’elle touche son propre frère, agressé alors qu’il menait une enquête journalistique en banlieue parisienne.
Dernier shoot pour l’enfer, premier roman mettant en scène Julian Milner, laissait à penser que Ludo Sterman n’en avait pas fini avec son personnage et que l’on finirait par le retrouver. Le revoilà donc, ce journaliste sportif fils d’un père républicain irlandais qu’il n’a jamais connu, confronté cette fois aux sales dessous du cyclisme, mais aussi à l’ombre de son père qui plane au-dessus de sa famille et de ce que ce dernier a pu laisser en héritage à ses enfants.
C’est donc, comme dans le volume précédent, à une double quête, de vérité et d’identité, que l’on se trouve confronté ici ; l’auteur mettant tout de même un peu plus l’accent que précédemment sur les interrogations existentielles de Julian Milner, personnage qui pouvait sans doute paraître un brin monolithique et d’un caractère un peu trop archétypal malgré l’originalité de sa fonction de journaliste sportif. Autant dire que ça n’est pas vraiment l’image que l’on peut se faire de prime abord du rebelle ou de l’idéaliste en quête de vérité. Têtu, égocentrique, parfois hystérique, Milner est un personnage auquel on finit par s’attacher malgré son côté souvent agaçant – qui, par ailleurs, participe peut-être à le rendre crédible. Si l’on s’intéresse encore malgré tout surtout à ses enquêtes et que l’on peine parfois à suivre ses atermoiements sentimentaux, il n’en demeure pas moins que le personnage gagne un peu plus en épaisseur et que l’auteur laisse présager d’une ou plusieurs suites qui aideront à mieux le comprendre.
Mais l’élément central du roman, pour nous en tout cas, est sans nul doute cette intrigue autour du dopage dans le cyclisme. Ou, plutôt, autour de ce qui est dit ou pas par la presse à ce sujet. Il ne s’agit pas pour Ludo Sterman d’enfoncer des portes ouvertes depuis longtemps à coup de scandales à répétition, et ce n’est pas lui qui nous apprendra que les coureurs sont chargés comme des mules. S’il nous montre les mécanismes du dopage, les divers degrés d’implication des coureurs, entraineurs, sponsors… et les collusions qui se créent avec certains groupes mafieux, Sterman nous parle plutôt de la disparition du journalisme sportif d’investigation, de la façon dont la révolution de l’internet, la nécessité du buzz permanent et de l’alimentation constante des sites en informations nouvelles, entrainent l’impossibilité de mener de véritables enquêtes de terrain dans les médias traditionnels[1]. Si le journalisme sportif est plus que d’autres, et surtout plus visiblement que d’autres, liés étroitement aux intérêts économiques des sponsors sportifs qui sont aussi clients publicitaires des journaux, il n’en demeure pas moins que c’est l’ensemble du journalisme qui flirte aujourd’hui avec cette dérive ; et c’est ce que montre encore une fois un Ludo Sterman qui connait de toute évidence son sujet et sait le rendre passionnant.
Il ressort de tout cela une lecture agréable, parfois un peu parasitée par la tendance à l’emphase du personnage principal – même si cela fait partie en fin de compte de son caractère – mais aussi instructive et originale. Si l’on y ajoute un propos à la fois nuancé et sans concession sur le sport professionnel et la décrépitude de la presse, on peut dire que l’on se trouve face à un roman tout ce qu’il y a de recommandable.
Ludo Sterman, Bombe X, Fayard Noir, 2013.
Du même auteur sur ce blog : Dernier shoot pour l’enfer.
[1] L’exemple récent de l’embryon de débat sur le dopage dans le rugby, tué dans l’œuf au profit d’informations inintéressantes sur les transferts en cours, est particulièrement parlant.