Anima, de Wajdi Mouawad

Publié le par Yan

animaEssentiellement connu – pour ce que j’en sais, à tout le moins – pour sa pièce Incendies, adaptée au cinéma par Denis Villeneuve, Wadji Mouawad est un auteur à la fois prolixe et hétéroclite touchant à un peu tous les arts quand bien même le théâtre semble être celui qui a le plus ses faveurs.

Avec Anima qui, bien que paru dans une collection blanche est incontestablement un roman noir, Mouawad démontre aussi qu’il est un grand romancier.

À travers le personnage de Wahhch Debch qui découvre en rentrant chez lui sa femme assassinée et sauvagement mutilée, l’auteur se lance dans une passionnante réflexion sur l’identité, la quête des origines et, plus largement, l’humanité.

Confronté à l’immobilisme de la police canadienne dont il apparaît bien vite qu’elle a identifié le coupable du meurtre, un indien Mohawk réfugié dans sa réserve, Debch, animé plus par le désir de voir de ses propres yeux l’assassin de sa femme que par un réel besoin d’assouvir une vengeance, se lance à sa poursuite. Mais, bien vite, cette quête va ouvrir d’autres portes devant l’époux affligé, y compris certaines qui mènent à son enfance au Liban, à Sabra et Chatila en septembre 1982.

Démarrant comme un thriller on ne peut plus banal n’était l’étrange manière dont les faits sont décrits, Anima trouve bien vite sa voix ou plutôt ses voix. Car, en effet, l’on comprend bien vite que les narrateurs sont multiples et qu’il s’agit des animaux qui croisent la route de Wahhch Debch. Ce sont eux qui décrivent ce qui se passe. Et c’est à travers leur regard que Wajdi Mouawad s’interroge sur la frontière entra l’humanité et la bestialité ; une frontière sur laquelle marche un Wahhch Debch qui tend nettement à pencher de plus en plus vers l’animalité. Une animalité qui, d’ailleurs, n’est certainement pas un état moralement pire que la condition d’humain, ainsi que le rappelle ce rat caché derrière un radiateur :

« J’ai émis un couinement à peine audible. Il m’a entendu. Il s’est retourné. Il a d’abord cherché, puis, en se baissant, il m’a aperçu. Il s’est accroupi, il m’a regardé, je l’ai regardé, j’ai couiné, il a tendu sa main en ma direction et a dit Moi aussi ! Moi aussi ! sous terre, sous terre, et seul ! et il a éclaté en sanglots. Bouleversé par son amitié, par sa profonde affection, gratuite et généreuse, je n’ai rien pu lui offrir en retour. Comment être à la hauteur d’un tel don qui me faisait entrevoir ce que le geste de tendre une main vers son semblable a de sublime ? Il s’est relevé et je l’ai vu s’éloigner. Je ne me suis pas attardé. Je me suis faufilé entre le mur et le radiateur. Je me suis immobilisé. J’ai retrouvé mon souffle et mon attention. Les humains ne sont pas tous des pièges, ils ne sont pas tous des poisons, je veux dire par là qu’ils ne sont pas tous des humains, certains n’ont pas été atteints par la gangrène. »

Le piège était pour Wajdi Mouawad de réduire son roman à ce procédé consistant à utiliser le point de vue des animaux. Il l’évite avec finesse, ne tombant jamais dans la caricature ou la facilité et son écriture déclamatoire, voire incantatoire, venue de son art de l’écriture dramatique ajoute à l’attrait de la quête de Wahhch Debch un effet sensiblement hypnotique. Fascinant, le chemin que suit le personnage et qui le mène à découvrir toujours un peu plus l’inhumanité de ses semblables prend encore une autre dimension avec sa rencontre d’un chien comme échappé des Enfers, compagnon de route aussi fidèle qu’effrayant pour ceux qui ont à le croiser ; ce qui donne lieu à des scènes aussi étranges qu’impressionnantes.

Cela donne au final un roman certes exigeant – bien plus en tout cas que l’un de ces thrillers prémâchés qui prennent en otage les tables des libraires – mais aussi terriblement marquant. De ceux que l’on n’abandonne pas après leur lecture et qui vous suivent longtemps.

Wajdi Mouawad, Anima, Léméac/Actes Sud, 2012. Rééd. Babel 2014.

Publié dans Noir américain

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