Alligator Strip, de Chris Haslam
Martin Brock, arnaqueur anglais de bas-étage émigré à Marrakech où il vit de ses maigres talents d’escroc et de grivèlerie, voit se profiler la perspective d’un plan de carrière un peu plus attrayant lorsqu’il rencontre Eugene Renoir, un congénère américain un peu plus doué qui lui propose de s’associer à lui. Il s’agit de mettre en place en Floride une escroquerie géante ciblant les revendeurs de pièces d’or.
Arrivé en Amérique, Martin va rapidement déchanter. Non seulement Eugene tend à le prendre pour un larbin un peu attardé, mais en plus il va croiser Brad, plouc repris de justice fanatique des armes, et la petite amie de ce dernier, Sherry-Lee, charmante strip-teaseuse par ailleurs membre de l’Église de Jésus Christ et des Signes qui Accompagnent dont les rituels comptent, entre autres, la manipulation de serpents à la morsure potentiellement mortelle.
Les aventures américaines de Martin Brock s’appuient sur deux ressorts classiques de la comédie. Le duo dépareillé d’une part, avec un Martin dont la grande naïveté semble parfois confiner à la niaiserie confronté à un Gene manipulateur qui n’a peut-être pas totalement conscience du pouvoir de nuisance de son acolyte ; pouvoir de nuisance dont on ne sait jamais vraiment s’il est volontaire ou pas : « J’étais obligé d’admirer ce salopard, même si je commençais à le détester. Il avait allumé une Marlboro, il rayonnait, et s’il était vraiment allé au Viêtnam, j’aurais peut-être surmonté mon dégoût et je me serais considéré comme un membre de l’Agence Tous Risques. Futé, probablement », confie Martin. Le regard faussement innocent du nouvel arrivant sur les travers du pays dans lequel il débarque d’autre part. Tout cela vient se greffer sur une intrigue de polar (l’escroquerie) qui n’est que prétexte aux aventures rocambolesques d’un Martin complètement déphasé et hypnotisé par la belle Sherry-Lee.
Alligator Strip souffre sans doute d’un certain manque de rythme, s’essoufflant parfois au court d’intrigues secondaires pas forcément utiles et d’une intrigue principale un peu trop étirée, avant de se reprendre. Les personnages manquent par ailleurs légèrement d’épaisseur. Autant Martin que Gene ou Sherry-Lee auraient mérité un traitement un peu plus radical de l’auteur qui, à trop vouloir nous montrer jusqu’au bout tout ce qu’ils peuvent avoir de positif, leur confère un aspect un peu trop lisse complètement à rebours de ce qu’augurait une ouverture où la mauvaise foi le disputait au politiquement incorrect.
En fin de compte, Alligator Strip est, malgré ces défauts, un roman plaisant à l’humour parfois ravageur. C’est que ses faiblesses sont compensées par le plaisir communicatif de conter que nous laisse ressentir son auteur ; il nous fait passer un moment qui, s’il n’est pas inoubliable, est au moins agréable.
Chris Haslam, Alligator Strip (Alligator Strip, 2005), Éditions du Masque, 2008. Rééd. 10/18, 2010. Traduit par Jean Esch.