Terra Alta, de Javier Cercas

Publié le par Yan

À Terra Alta, au sud de la Catalogne, près de l’Èbre, un couple de vieillards, les Adell, propriétaires de la cartonnerie qui fait vivre une grande partie de la petite ville, sont retrouvés morts, assassinés après avoir été horriblement torturés.

Melchor Marín est un flic à part. Ancien délinquant, il s’est engagé dans la police dans l’espoir de retrouver un jour les assassins de sa mère prostituée. Devenu par hasard un héros en abattant des terroristes lors des attentats de Barcelone et Cambrils en 2017, on l’a muté à Terra Alta pour le protéger d’une médiatisation indésirable. Là, le jeune policier féru de littérature et en particulier des Misérables, a trouvé l’amour. Et il fait dorénavant partie de l’équipe chargée d’enquêter sur l’assassinat des Adell.

Avec Terra Alta, Javier Cercas s’adonne à plusieurs exercices : dérouler une enquête criminelle plutôt classique, créer un personnage très complexe en la personne de Melchor qui se double par un bel hommage à la littérature romanesque à travers l’amour de ce dernier pour celle-ci, et sonder une société catalane encore habitée par les fantômes de la Guerre civile et qui entretient un rapport complexe à l’État espagnol. Melchor, d’ailleurs, est un membre des Mossos d’esquadra, la police autonome catalane. Derrière le polar fort bien mené, avec sont lot d’impasses, de fausses pistes et de rebondissements, on perçoit donc surtout une volonté de l’auteur de bâtir un Melchor qui apparaît comme un être au carrefour des tensions de cette société. Parce qu’il en fait partie tout en étant constamment un peu en dehors. Il est celui qui lit des livres, qui ne porte d’autre revendication – mais quelle revendication – que la recherche de la justice pour les victimes et, sans doute aussi d’une forme de paix intérieure que lui refusent les événements. Il y a les catalanistes et les « espagnolards » comme le supérieur de Melchor l’appelle parfois et il y a ceux qui ont choisi des camps différents dans une guerre ancienne dont les cicatrices marquent encore les paysages et la mémoire, et donc, la société entière.

Mené avec finesse et même avec tendresse, pas dénué d’humour non plus bien que le sens du drame habite de toute évidence, et de manière émouvante, l’auteur, Terra Alta se révèle être un roman envoûtant et, tout simplement, beau.

Javier Cercas, Terra Alta (Terra Alta, 2019), Actes Sud, 2021. Rééd. Babel Noir 2023. Traduit par Aleksandar Grujičić et Karine Louesdon. 407 p.

Publié dans Noir espagnol

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