Les dames de guerre : Saïgon, de Laurent Guillaume

Publié le par Yan

Premier jalon d’un projet plus large, une trilogie de romans et adaptation télévisée, Les dames de guerre : Saïgon nous plonge dans les derniers mois de la guerre d’Indochine.

Cette guerre est déjà perdue, mais il est bien difficile pour la France d’accepter la perte inéluctable de ce qui est considéré comme la perle de son empire et pour les états-majors de se résigner à une humiliante défaite. Alors que va bientôt débuter l’opération Castor pour attirer les forces du Viêt Minh vers une plaine tonkinoise, à Diên Biên Phu, d’autres opérations, plus discrètes et ont lieu bien plus au nord, du côté des frontières entre le Laos, la Birmanie et la Thaïlande.

C’est là que le photographe de guerre Robert Kovacs saute sur une mine en accompagnant une colonne de commandos français assistés de Hmongs chargée de procéder à un mystérieux échange avec des soldats birmans. À New York, à la rédaction du magazine Life pour lequel travaillait Kovacs, c’est la stupeur. Et la peur aussi. Les reporters susceptibles de remplacer Kovacs en Indochine ne se bousculent guère et c’est finalement Elizabeth Cole qui va hériter du poste. Photographe mondaine qui vit son statut d’épouse comme un carcan, Cole voit dans l’opportunité qui s’offre à elle une manière de s’émanciper et de vivre son rêve de devenir un véritable reporter. D’autant plus que ce qu’elle a pu voir des affaires récupérées après la mort de Kovacs ne colle pas vraiment au rapport officiel fourni par les autorités françaises. Elizabeth Cole entend non seulement succéder à Kovacs mais aussi enquêter sur sa mort.

À Saïgon, aidée par Graham Fowler, vieux journaliste anglais, Elizabeth va découvrir la vie de la colonie française et aussi, petit à petit, ses dessous : fumeries d’opium, jeux d’espions entre CIA, services français, chinois et sectes vietnamiennes, trafics divers, bandits corses et soldats tiraillés entre questions d’honneur, morale et ordres de leurs hiérarchies. Tout cela en quête d’une vérité dont elle s’aperçoit peu à peu que tenter de la découvrir oblige à lever d’autres voiles sur d’autres vérités qui ne sont pas toujours bonne ni à dire ni à connaître.

D’une certaine manière Un coin de ciel brûlait, le précédent roman de Laurent Guillaume, un polar qui se déroulait entre Afrique et Europe de 1992 à nos jours, ouvrait la voie au romancier pour prendre la voie de l’espionnage et de l’histoire. Il est heureux que son choix se soit porté vers la guerre d’Indochine, très largement ignorée, coincée en quelque sorte entre la Deuxième Guerre mondiale et la guerre d’Algérie, guerre de soldats engagés volontaires et non d’appelés, guerre aussi honteuse par sa défaite cuisante et parce qu’elle visait à maintenir une société coloniale particulièrement odieuse. La partition qui se jouait là entre gouvernements fantoches vietnamien, laotien et cambodgien, tutelle française, services américains, Chine populaire, Viêt Minh, sectes locales et minorités ethniques anti-communistes est un terreau extrêmement fertile pour le roman. Laurent Guillaume sait y faire fleurir une intrigue complexe alliée à un rythme très efficace.

Les quelques idéalistes que l’on croise là, à commencer par Elizabeth Cole se confrontent à une réalité qui n’est guère belle à voir et à d’autres personnages cyniques, tiraillés par des envies de revanche ou qui, tout simplement cherchent à survivre. Si on a pu parler de la guerre du Vietnam comme de la perte de l’innocence pour la société américaine, alors Elizabeth Cole va perdre la sienne un peu avant ses concitoyens. Quant à ceux qu’elle va croiser là, français, vietnamiens ou chinois, il y a bien longtemps qu’ils ne sont plus innocents. Le choc sera rude. Des rues de Saïgon et Hanoï aux montagnes du nord, Laurent Guillaume nous plonge dans la touffeur d’un pays, d’une époque et d’une intrigue dans laquelle on se laisser happer avec plaisir.

Laurent Guillaume, Les dames de guerre : Saïgon, Robert Laffont, La Bête Noire, 2024. 471 p.

Du même auteur sur ce blog : Black Cocaïne ; Mako ; Delta Charlie Delta ; Là où vivent les loups ; Un coin de ciel brûlait ;

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M
Excellent roman qui mélange efficacement les genres. C'est une des sélections pour le Prix du roman noir de l'Histoire
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