Huck Finn et Tom Sawyer à la conquête de l’ouest, de Robert Coover

Publié le par Yan

Les aventures de Huckleberry Finn, de Mark Twain, se déroulaient dans les années 1840. C’est une trentaine d’années plus tard que l’on retrouve Huck dans les Black Hills. L’éternel vagabond semble avoir enfin trouvé un lieu qui lui plaît. Après des années à courir l’ouest comme éclaireur pour l’armée, dresseur de chevaux ou cavalier du Pony Express, il s’est enfin posé à Deadwood Gulch. Là, il paresse, chasse et pêche avec son ami Eeteh, un indien lakota plus ou moins ostracisé par sa tribu à cause de son peu d’appétence pour la chasse aux scalps, et boit des coups avec le vieux Deadwood qui passe son temps à raconter des sornettes. Mais la découverte d’un gros caillou jaune, va changer le destin de la petite communauté. La ruée vers l’or va drainer jusqu’ici pionniers, bandits, assassins, tuniques bleues et même Tom Sawyer lui-même.

« Le Gulch, la première fois que je m’y avais faufilé, il paraissait fixé là à tout jamais, sauf que, ben c’était pas le cas. Y en avait tout plein qui débarquaient à l’affût de fortunes à se faire et qui finissaient toujours par trouver le chemin jusqu’à la bibine de Zeb, et c’est qu’ils étaient toujours plus nombreux, à rôder à flanc de collines et le long des ruissos. Y avait les ceusses qu’avaient déjà posé leurs jalons, et les ceusses qui fourmillaient dans le coin au cas où y aurait eu des trucs à barboter. Ils faisaient les cent pas tout partout et chaque jour l’endroit était de plus en plus usé et sivilisé. »

La « sivilisation », de fait, Huck voudrait la fuir comme la peste. Mais le changement radical des lieux et l’arrivée de tout un tas de gens pas très bien intentionnés l’empêchent de partir aussi vite qu’il le voudrait.

Robert Coover se glisse avec aisance et, disons-le, génie, dans les traces de Mark Twain. Il reprend non seulement ses personnages mais aussi son sens de l’invention langagière – félicitations au passage au traducteur Stéphane Vanderhaege – et va un peu plus loin. Huck a grandi mais n’a guère changé. Son récit à la première personne est une ode à la liberté faussement naïve mais bien intentionné. Tom Sawyer, dont la face sombre apparaissait déjà chez Twain est devenu un personnage dénué de scrupules, mu par la recherche constante de l’aventure mais aussi du pouvoir. Derrière lui apparaît sous la plume de Coover le rêve américain tel qu’en lui-même : des rêves et des espoirs immenses qu’il convient de concrétiser quitte à piétiner les autres – faibles, différents, obstacles sur le chemin – et la nature au passage. Tom Sawyer le dit sans ambages dans un de ces formidables passages pleins de d’ironie et de mauvais esprit qui font la richesse de ce western noir, mélancolique, ample et bourré d’humour noir :

« -[…]Moi j’ai l’intention de me tirer au Mexique.
-Au Mexique ! Rooh, Hucky, ç’que tu peux êt’ nouille ! Mais ces sales métèques ils sont encore pire que les Indjiens ! Et ils PUENT encore plus ! Ce jus de cactus qu’ils boivent les rend encore plus mabouls que des chiens enragés qu’auraient la queue en feu ! Et entre ici et là-bas tu trouveras rien que des emmerdes. Tu peux pas aller là-bas tout seul !
-Ben j’espérais que tu voudrais bien venir avec moi.
-Moi ?
-Ils ont des montagnes d’or, là-bas. Et d’argent.
-Mais de l’or et de l’argent on en a ici aussi. Et les Mexicains c’est pas comme les Indjiens, mon ptit Huck. Les Indjiens ils s’assoient en rond par terre à moitié à poil, en petits groupes tristes à attendre une chose, qu’on vienne les siviliser au bout d’une corde ou d’un canon de fusil ; mais les Mex, eux, c’est de tout un foutu pays qu’on parle.
 »

Robert Coover, Huck Finn et Tom Sawyer à la conquête de l’ouest (Huck Out West, 2017), Chambon, 2024. Traduit par Stéphane Vanderhaege. 319 p.

Publié dans Western et aventures

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