Deux dans Berlin, de Richard Birkefeld et Göran Hachmeister
Profitant de la panique lors d’un bombardement, Rupert Haas s’évade du camp de concentration de Buchenwald où il a été interné suite à une dénonciation. Il n’a qu’un objectif : Berlin. Y retrouver sa femme et son fils et se venger de ceux qui l’ont fait envoyer là.
Démobilisé des services de renseignements de la SS après avoir été blessé en France, Hans Kalterer est affecté à la police criminelle de Berlin.
Rupert Haas n’a retrouvé ni sa femme, ni son fils, morts tous les deux. Mais il commence à faire payer les responsables. Et c’est Hans Kalterer qui est envoyé à sa poursuite.
Ça n’est clairement pas l’enquête en elle-même ni vraiment la traque de Haas par Kalterer, qui font le sel de ce roman policier historique, mais bien le contexte dans lequel cette intrigue prend place. Le Berlin de l’hiver 1944, écrasé sous les bombardements alliés, dans lequel la police politique et diverses milices traquent les déserteurs, les réfractaires et ceux – de plus en plus nombreux – qui remettent en cause le Führer est en fin de compte le véritable personnage principal. Kalterer et Haas ne sont avant tout ici que pour nous le faire découvrir ainsi que toute une galerie de personnages qui représentent autant de points de vue sur le régime : il y a ceux qui y ont cru et sont en proie au doute, comme Kalterer lui-même, les opportunistes des premières années qui voient fondre leurs fortunes bâties sur la spoliation de leurs concitoyens juifs, communistes ou simplement là au mauvais endroit au mauvais moment, les opposants de la première heure qui ont subi et voient enfin briller quelques vagues lueurs d’espoir, les attentistes qui commencent à trouver le temps d’autant plus long qu’ils le passent en grande partie dans des caves et des abris…
C’est là une des grandes réussites de ce roman que de donner à voir la complexité des comportements, la diversité des motivations, les lâchetés ordinaires, la cruauté qui l’est souvent tout autant, le courage parfois exceptionnel et les petits gestes discrets qui peuvent tout changer. L’autre réussite, bien entendu, c’est le décor dans lequel on se trouve immergé : cette ville en feu dans laquelle s’organise un semblant de vie normale tandis qu’une partie de la population se terre dans des abris de fortune, la mort à chaque coin de rue.
En entraînant le lecteur dans ce maelström, Birkefeld et Hachmeister signent un polar terriblement efficace sur la forme comme sur le fond.
Richard Birkefeld et Göran Hachmeister, Deux dans Berlin (Wer übrig bleibt, hat Recht, 2002), Éditions du Masque, 2002, rééd. en format poche, 2022. Traduit par Georges Sturm. 524 p.