Ce que nous cache la lumière, de Tim Gautreaux

Publié le par Yan

On n’avait plus de nouvelles de Tim Gautreaux depuis la parution en 2016 de ce qui était en fait son premier roman, Fais-moi danser, Beau gosse, qui arrivait chez nous après les formidables Le dernier arbre et Nos disparus. C’est donc une belle surprise que nous ont réservé les éditions du Seuil en publiant à la fin 2021 un recueil de nouvelles de l’auteur louisianais.

Les 21 textes rassemblés ici n’ont rien d’un assemblage hétéroclite. Si certains prennent place au Minnesota, en Caroline du Nord ou dans le Kentucky, la majorité restant solidement ancrée en Louisiane, ils ont tous en commun de suivre des personnages sur lesquels on ne s’attarderait guère a priori, non pas forcément marginaux mais à tout le moins invisibles, isolés physiquement ou en eux-mêmes. Une vieille fille rongée par la dépression enfermée dans son immense maison en ruine avec son piano, un soudeur confronté à l’éducation de ses petits-enfants, un ouvrier cherchant à trouver un air assez pur pour soigner ses poumons, un exterminateur d’insectes qui rêve d’avoir un enfant, un accumulateur d’objets de brocante qui laisse son bazar à sa veuve… Autant de vies ordinaires dans lesquelles Gautreaux va pourtant puiser l’étincelle, le petit moment de bascule ou la prise de conscience qui vient leur conférer une épaisseur romanesque.

Il y a les personnages, donc, pas forcément aimables, mais toujours attachants d’une manière ou d’une autre, y compris ce fainéant qui enlève un vieillard atteint d’Alzheimer pour, après l’avoir convaincu qu’il est son père, lui faire exécuter les travaux qu’il n’a pas envie de faire. Il y a les tonalités, aussi, qui passent de l’humour noir de cette histoire de ce braqueur pris au piège d’une vieille dame têtue et de ses tout aussi vieux voisins joueurs de cartes, au drame intime de ce gamin qu’un chauffagiste prend sous son aile ou de cette jeune fille incapable de lâcher la bouteille, à la douce mélancolie d’un homme courant après une voix à la radio. Et au fond de toutes ces histoires, on trouve les questions qui obsèdent l’auteur, celles que l’on avait déjà pu rencontrer dans ses romans : que nous a donc légué le passé ? Et qu’allons-nous laisser derrière nous ? En fin de compte, aussi, comme la nouvelle qui donne son titre à l’édition française, que nous cache donc la lumière ? Qu’est-ce qui se dissimule dans le cœur des gens que la vie à leurs côtés nous empêche parfois de voir ?

Tout cela, Gautreaux le dit sans affèteries mais avec une écriture lumineuse, riche juste comme il faut mais pudique, qui sait ne pas sombrer dans un lyrisme inutile et offre de véritables moments de poésie. Une pure beauté.

Tim Gautreaux, Ce que nous cache la lumière (Signals, 2017), Seuil, 2021. Traduit par Marc Amfreville. 509 p.

Du même auteur sur ce blog : Le dernier arbre ; Nos disparus ; Fais-moi danser, Beau gosse ;

Publié dans Littérature "blanche"

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